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L'été des festivals #1 : "Le temps de l’écrire"

jeudi 30 juin 2022

Parfois les rencontres autour de l’écriture donnent lieu à de très belles histoires. C’est le cas de celle de Céline Scoyer et Thibaut Nève, réunis autour d’Envies Sauvages, spectacle écrit par Céline pour le festival de Thibaut, Il est temps d’en rire. Allez, venez, on vous emmène dans les coulisses de l’aventure.


Elle est comédienne, autrice de théâtre, stand-uppeuse. Il est comédien, auteur, metteur en scène. Et, dernièrement, programmateur d’un festival d’humour. Formés tous les deux au Conservatoire de Bruxelles ‒ sans s’y être croisés, quelques années les séparent ‒ ils sont partenaires dans l’aventure des Envies Sauvages.

« J’ai une formation de comédienne, mais je me suis très vite rendu compte que je préférais écrire pour la scène, sans nécessairement vouloir un rôle dans ce que j’écrivais », nous confie d’emblée Céline, quand nous nous retrouvons tous les trois pour discuter de l’expérience de l’écriture des Envies sauvages. Si après sa sortie du Conservatoire, elle écrit plusieurs pièces pour des cafés-théâtres, elle a à cœur de peaufiner son écriture. C’est dans ce sens qu’elle s’inscrit à un atelier dispensé par Thibaut Nève à l’Espace Magh, ébauche d’un texte sous le bras. Celui des Envies Sauvages.

Le pitch ? Un couple qui en a marre de la ville et décide, sur un coup de tête, de partir vivre dans les bois sans en avertir personne. Un sujet qui lui parlait. « Ce besoin de se barrer, c’est la conséquence d’une vie un peu "bullshit", explique-t-elle. Je l’ai observé autour de moi, on commençait à en parler pas mal, dans les médias notamment. Ces personnes qui quittent leur boulot de comptable pour devenir boulanger, ou partent élever des chèvres après des années en boîte de comm’. Sauf qu’élever des chèvres, c’est un vrai métier, comme boulanger, d’ailleurs, ça ne s’improvise pas. »
Alors l’autrice fantasme sur l’idée : est-on encore capable de vivre en totale autonomie, coupé du monde ? « J’ai également observé, poursuit-elle, qu’il y avait une véritable ambivalence chez ces personnes. Certes, elles partaient loin et pour tout autre chose, mais en même temps elles avaient cette envie folle de ramener le monde à elles, par les réseaux sociaux, notamment. Comme pour dire : regardez, venez voir comme ce que je vis "loin du monde" est chouette. C’est schizophrénique. Et c’est ça qui amène l’humour. »

Car si la jeune femme concède n’écrire que « des choses qui font rire, depuis le début », elle affirme cependant ne pas chercher absolument à faire de l’humour. « Ça vient comme ça, je n’ai pas une technique de provocation du rire, je ne veux pas la punch-line à tout prix. Et, j’ai essayé d’écrire triste : ça ne marche pas du tout », s’amuse-t-elle.
Thibaut réagit alors : « Oui, mais il y a une véritable profondeur dans ce que tu écris. Ce n’est pas du rire pour du rire. ». C’est que, dès le départ, il a accroché à l’écriture de Céline. Ça tombe bien : la jeune femme avait déjà un engagement de plusieurs dates à l’Os à Moëlle, donc une certaine pression de production à son arrivée aux ateliers. Thibaut lui propose alors de mettre son texte en scène, dans une configuration à deux personnages au plateau.

Après l’Os à Moëlle, c’est aux Riches-Claires que le texte continuera sa vie. Le succès rencontré, Thibaut l’attribue au style de Céline, qui s’est affiné avec le temps, avec, notamment, la pratique du stand-up et de la radio, deux exercices dans lesquels il faut être efficace, rapidement. « Je pense que, une fois que tu as dû écrire des chroniques pour la RTBF, ton style s’est précisé, lui adresse-t-il. La fenêtre de tir de ce genre d’exercice est très serrée, ce qui précise les intentions, et muscle l’écriture, la rendant plus efficace. C’est une bonne école, qui déplacer le curseur. »
Et Céline d’acquiescer : « L’oralité de cet exercice a également modifié ce que je produis désormais. Avant, j’écrivais des billets sur un blog personnel, Une blonde à Bruxelles. Et quand je me relis, je trouve ça trop léché. Sur scène (NDLR : Céline fait du stand-up au Kings of Comedy Club) et à la radio, j’ai compris la physicalité du langage qui doit s’appliquer à l’écriture pour que celle-ci soit plus spontanée. »


Échanges et demandes

Pour ce qui est de la méthode de travail, en amont de la mise en scène, sur l’écriture spécifiquement, ils avancent par échanges. « Les ateliers étaient un lieu très concret, on y lisait ce qu’on avait produit, on solutionnait les problèmes ensemble. C’était un lieu de retrouvailles et d’entraide », explique Céline.

Et Thibaut de compléter : « Il y a une forme d’intelligence collective dans ce genre d’exercice. Et moi, je pousse le curseur vers le style que je décèle au fur et à mesure chez les participants. Quand ils arrivent à un certain niveau, je les confronte à leurs fondamentaux, je les remets sur ce chemin-là. Ce que j’aimais et souhaitais pousser chez Céline, c’est son attrait pour une forme de drame. Sous couvert du rire, elle met dans son écriture – et donc au plateau ‒ des préoccupations fondamentales de l’être humain. Généralement, ces préoccupations sont cachées, chez ses personnages, derrière une forme de fragile naïveté. Et j’aime quand le vernis craque. C’est vers là que je l’ai poussée. »

L’aventure était donc belle. Une écriture qui fonctionne, une belle complicité entre l’autrice et l’accompagnateur/metteur en scène. Un spectacle qui rencontre son public. Sauf qu’elle a failli s’arrêter là. 2020, pandémie, confinements, les élans théâtraux sont stoppés, partout. Les Envies sauvages, qui se rêvaient dans d’autres salles belges, et même à Avignon, s’arrêtent brusquement. Céline se dit « heureuse d’avoir été jusque-là, ce n’était pas grave. »

C’était sans compter les envies programmatrices de Thibaut, le désir de relancer un secteur moribond, de travailler « davantage en circuit court – en contournant le circuit long, soit les dossiers, les demandes de subventions, le tax shelter… –, pour que les choses aillent plus vite. » En sortie d’interdiction de spectacles, il crée Il est temps d’en rire, festival d’été et d’humour, en bord du lac de Genval. « Je voulais contourner le bouchon qui existait, de tous ces spectacles et textes écrits pendant cette période qu’il faudrait monter et montrer rapidement. »

La première année du festival, il n’y a aucune création, la seconde, ce sera un texte déjà écrit, le classique Sexe et Jalousie, de Marc Camoletti, mis en scène par Nathalie Uffner (NDLR : coproduction du TTO) qui sera adapté pour le public de Genval. La création d’un texte spécifiquement pour le festival est la grande première de cette année. Et le texte de Céline, moyennant quelques adaptations, s’est directement imposé à Thibaut. « Je le voyais très bien, là, en décor naturel, collant parfaitement au propos. Les bruits des bois, les lumières nocturnes, les émotions de la forêt à la nuit tombée, la nature comme cadeau scénographique. J’avais envie de défendre cette proposition. »

Sauf qu’avec sa casquette de programmateur, il a un petit souci : il ne peut se permettre de proposer une pièce de "seulement" deux protagonistes à un public qui paie un certain prix – « en-dessous de 28 euros la place le festival n’est pas viable. »
Il faut donc rajouter un troisième personnage. Voici le défi de Céline. Qui l’accepte.

« Ce personnage existe dans le texte, d’origine, mais il ne prend pas la parole. L’enjeu était de l’incarner, explique l’autrice. Thibaut m’a soutenue, on a commencé par un ping-pong d’idées, comme au temps des ateliers qui avaient donné naissance à la première mouture du texte. Puis, je lui ai demandé de me laisser quelques semaines pour peaufiner le texte de mon côté. Et j’ai tout réécrit. Je suis repassée partout. »

Parce qu’en cinq ans, le réel change, la société change, #MeToo est passé par là. Certaines choses ne sont plus d’actualité, d’autres complètement déplacées pour les mettre au plateau. Il fallait revoir les interactions au sein du couple, le rapport à la technologie, au langage. Tout était différent.
« C’était un tour de force, souligne Thibaut. Rendre les personnages aussi supportables qu’insupportables, avec un couple plus déconstruit en 2022 qu’en 2017. Il y a cinq ans, certaines caricatures pouvaient fonctionner. Aujourd’hui, plus du tout, ça devenait presque outrancier. Et le fait d’ajouter ce troisième personnage déplaçait totalement l’équilibre, je ne pouvais plus reproduire le travail fait sur le premier texte. Dans cette pièce, on est sur le fil, parce que l’écriture de Céline est comme ça. Les sujets qu’elle aborde, le monde, la bienséance, l’amour, il faut les prendre avec des pincettes pour ne pas que ça dérape. »

Alors le couple de créateurs discute avec les comédiens, qui ont gardé une mémoire de la première version. Ce qui a servi de base à la réécriture, de plateau cette fois. « Ils nous ont ouvert des portes, souligne Thibaut, mais ça s’est arrêté là : l’écriture de Céline n’est pas une écriture de plateau. Elle livre un matériau sur lequel on travaille. »
« Oui, concède cette dernière. Je ne me sentais pas du tout de dire : bon, je vous livre le bébé, mais attention, vous faites ça comme ça, et ci comme ci. »

Sauf que Céline Scroyer est comédienne de formation. Le texte qu’elle livre est efficace, du premier coup. C’est Thibaut qui l’affirme : « On voit dans son écriture qu’elle va à l’essentiel, elle sent ce qui va fonctionner, aucune scène n’est inutile. C’est un cadeau de travailler sur un tel matériau. Même si dans ce cas, j’ai vraiment dû déconstruire ce que j’avais fait sur la première mouture pour réinventer une mise en scène qui intègre le nouvel équilibre. »


Extérieur bruits

Le fait que ce texte se donne en extérieur est un cadeau pour les deux. Thibaut se réjouit de voir un texte qui convie la nature, s’y jouer dans la réalité. Que la musique du plateau soit celle des éléments. De son côté, Céline affirme que ce cadre des bois lui a donné des ouvertures d’écriture. Elle n’a pas contraint ses personnages à rester dans une cabane, mais a pu enfin leur inventer une vie hors cadre, dans la forêt. Et la mise en scène s’adaptera aux conditions climatiques, faisant de la nature un réel protagoniste de la pièce. Cadeau aussi. La magie de l’extérieur va suivre les aléas du texte (à moins que ce ne soit le contraire… ?).

Leur défi à tous les deux ? Pour Thibaut, mettre en lumière l’écriture de Céline, car « quelqu’un qui donne autant de soi dans son travail, on se doit d’être à la hauteur du propos. Je veux être dans le respect de ce qui a été écrit, et mettre en sensibilité les choses importantes. Tout en faisant un vrai spectacle populaire, rassembleur parce qu’il émeut. Je veux faire la plus belle histoire d’amour qui soit. Parce que, on ne va pas se le cacher, Les Envies Sauvages, c’est un peu Roméo et Juliette dans les bois… »
Quant à Céline, son défi à venir sera de dépasser ce texte, et passer à une autre écriture. « Mais pour le moment, je ne peux pas, sourit-elle. Je suis trop attachée aux personnages. Si j’écrivais ailleurs, ce serait comme si je les trompais. » Alors, pour l’heure, il faudra encore et encore, s’ensauvager de beauté et de nature, autour d’un lac, au cœur de l’été.


Isabelle Plumhans


Pour aller plus loin

. En savoir plus sur Les Envies sauvages, un spectacle qu'on vous recommande chaleureusement

. Voir toute la programmation d'Il est temps d'en rire, un festival soutenu avec fierté par la SACD

 

L'été des festivals #1 : "Le temps de l’écrire"

Photo : Vivien Ghiron

L'été des festivals

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. "Le temps de l'écrire" (une interview par Isabelle Plumhans de Céline Scoyer et Thibaut Nève à propos des Envies sauvages, un spectacle de Céline Scoyer pour le festival d'humour Il est temps d'en rire)

. Les (humoristes) belges à Avignon (une interview croisée de 9 meilleur.es stand-uppeurs et stand-uppeuses du Festival Avignon Off !)

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