L'été des festivals #5 : "Parades de confinement"
Alors que le confinement privait les enfants de sorties, fermait les théâtres et les centres culturels, estampillait les artistes comme « non essentiels », certaines et certains ont développé des trésors d’imagination et d’énergie pour apporter aux enfants ce à quoi ils ont droit : de l’art vivant. Ce n’était pas du théâtre au sens plein, mais des propositions lovées dans la philosophie du « mieux que rien », sur lesquelles on revient à l'occasion des Rencontres Théâtre jeune Public de Huy.
Parfois, on crée alors que tout plein de personnes à grande bouche clament qu’il y a bien plus urgent et bien plus important à faire. Las ! Les aléas de la vie n’ont jamais anéanti l’élan créateur. Même les météorites qu’ont été le Covid et ses confinements. Et le paysage des créations pour jeune public a été particulièrement agile.
« Ce qu’on a pu constater, éclaire Nathalie Wolff, spécialiste jeune public de la SACD, c’est que dès le début de la pandémie, le secteur jeune public a été très créatif et réactif. Des compagnies ont transformé leur spectacle en petite forme pour qu’elle soit transportable dans les écoles puisque les enfants ne pouvaient plus aller dans les théâtres et les centres culturels. D’autres ont fait des captations de leurs spectacles pour les mettre en ligne ou encore des live-streamings. Des formes inhabituelles ont été mises en place pour faire avec les contraintes d’une situation hors normes. »
Cela ne remplace pas une sortie au théâtre, bien sûr. C’étaient de petites parades. Dans les deux sens du terme. Pour parer l’aridité de ces confinements et pour amener un peu de spectacle, d’art, de vitalité dans ce désert.
Le spectacle-live sur Zoom des Zygomars
Parmi les compagnies jeune public qui ont pu se glisser dans les interstices du confinement, il y a le Théâtre des Zygomars. L’odyssée inespérée de son Tout Petit Monsieur a démarré par hasard. « Au tout premier lockdown, on a passé un mois déprimant à voir se décommander les dates de représentation qu’on avait passé un an à tricoter…, raconte Vincent Zabus, le directeur artistique des Zygomars. Il se fait que j’avais un ami qui faisait des Facebook Lives de contes originaux. Il a demandé à ses copains d’écrire des histoires. Moi, j’ai écrit une fable sur le confinement, Le Tout Petit Monsieur. Quand j’en ai parlé à mes collègues, ils ont trouvé ça chouette. Et dans le même temps, on utilisait Zoom pour faire des visites guidées de musée. C’est comme ça qu’on s’est rendu compte qu’il y avait moyen de jouer en direct avec Zoom et d’incruster des images. »
Une dessinatrice crée alors les illustrations, un comédien apprivoise le jeu devant un fond vert, et après deux semaines de répétitions (à distance), un spectacle Zoom de 20 minutes est monté. Il est d’abord proposé gratuitement aux écoles. Et toujours suivi d’un petit débat autour de la façon dont les enfants vivent la situation.
Avec le reconfinement de l’automne 2020, pas moyen de retrouver les salles de spectacle. Le Tout Petit Monsieur est joué en ligne et en direct plus de 200 fois. « On a créé une forme qui n’est pas du théâtre, mais qui raconte une histoire, qui invente, qui tisse du lien. On était heureux de remplir ainsi une bonne partie de nos missions, explique Vincent Zabus. Le théâtre, c’est avec des gens qui sont là, présents dans la salle. Mais on ne pouvait pas en faire. On a fait avec les limites, avec les règles pour permettre aux enfants d’être en contact avec l’art, de débattre. C’était aussi une façon de sublimer, et non pas de cautionner, la réalité dans laquelle on était. Une façon d’être libres dans ce cadre imposé. »
Dès qu’elle a pu, la compagnie a repris le théâtre. Et a adapté son Tout Petit Monsieur en spectacle kamishibaï.
Arts et Couleurs en mode tout-terrain
Pour la compagnie Arts et Couleurs, il y a d’abord eu, aussi, la phase de déprime. La cascade d’annulations, zéro perspective, pas de Rencontres de Huy, pas de Noël au Théâtre. La seule chance, c’est qu’elles avaient une histoire et qu’elles étaient en train de travailler dessus. Le grand voyage de Georges Poisson devait se jouer à la table avec une multitude de petits objets. L’adapter en forme légère, autonome, aisément montable et transportable n’a donc pas demandé beaucoup d'aménagements.
« Ce n’est pas un souhait de la compagnie de travailler des spectacles qui vont en école, pose Martine Godard, la responsable artistique de la compagnie. Notre volonté, c’est d’aller en théâtre, de travailler dans des conditions professionnelles, avec une visibilité identique au théâtre adulte et des enfants qui sont considérés spectateurs comme tout autre spectateur. Mais tout était arrêté. On comprenait, on l’acceptait. C’était une situation particulière et moi je préfère jouer, même si c’est dans des conditions un peu strictes, que de ne pas jouer. »
Alors la compagnie a réduit un peu sa forme qui, de toute façon, était déjà petite. Et sa jauge qui, de toute façon, n’est jamais grande pour le théâtre d’objets. Un éclairage limité à six projecteurs, un fond noir, un montage en une heure et le tout transportable dans un petit camion.
À partir de novembre 2020, Le grand voyage de Georges Poisson est parti à la rencontre du public, là où il pouvait être : « On a joué dans des écoles, des buvettes de foot, des salles de fanfare, des lieux improbables, sourit encore Martine Godard. Et on a eu un plaisir fou ! On gardait un lien direct. Pour le moral, ça a fait un bien fou, que ce soit pour eux ou pour nous. On ne nous a jamais autant dit "merci" ‒ les enfants, mais aussi les enseignant∙es. On venait donner un peu de poésie, d’air, de bonne humeur, de chaleur, de réconfort dans tout ce contexte. On s’est senties utiles. Plus que d’ordinaire. »
Depuis, Le grand voyage de Georges Poisson se joue en salle et a reçu une mention pour « l’excellence et la précision de l’écriture scénique » aux Rencontres de Huy en août 2021.
Cécile Berthaud
Pour aller plus loin
La SACD en support des compagnies
Les compagnies jeune public ayant proposé des formes de spectacle pendant les confinements ont travaillé main dans la main avec la SACD. Que ce soit pour :
- les petites formes ;
- les live streamings ;
- les captations réalisées et mises en ligne par les compagnies elles-mêmes ;
- les captations faites par la RTBF et diffusées sur Auvio ;
la SACD a mis en place différents moyens de perception des droits d’auteur.
Pour ces circuits inhabituels (hors des structures théâtrales ou en ligne), il a fallu élaborer rapidement des systèmes de perception de ces droits ainsi qu’une grille tarifaire. Grâce à une collaboration fluide entre les compagnies et la SACD, les auteurs et les autrices ont pu toucher leurs droits.
Références
. Voir les sites du Théâtre des Zygomars et d'Arts et Couleurs.
. En savoir plus sur les Rencontres théâtre jeune public de Huy.
L'été des festivals
Tout au long de la saison des festivals, la SACD vous emmène à la rencontre des auteurs et autrices qui font les spectacles qu'on applaudira : à Il est temps d'en rire, à Avignon (In & Off), aux Brigittines... Humour, théâtre, danse... des choses magnifiques se préparent. Une manière de passer l'été en bonne compagnie !
. "Le temps de l'écrire" (une interview par Isabelle Plumhans de Céline Scoyer et Thibaut Nève à propos des Envies sauvages, un spectacle de Céline Scoyer pour le festival d'humour Il est temps d'en rire)
. Les (humoristes) belges à Avignon (une interview croisée de 9 meilleur.es stand-uppeurs et stand-uppeuses du Festival Avignon Off !)
. "Carlier, Mannès et Turine investissent Avignon avec deux spectacles de danse résolument contemporaine et sans compromis", interview des chorégraphes par Jean-Jacques Goffinon.
. "L’écriture instinctive et spatialisée de Still Life", interview par Marie Baudet de Sophie Linsmaux et Aurélio Mergola dont le projet Flesh est à l'affiche du In d'Avignon
. "Parades de confinement", lors des Rencontres Théâtre jeune Public de Huy, interview par Cécile Berthaud de Nathalie Wolff, du Théâtre des Zygomars et d'Arts et Couleurs sur la réinvention du théâtre jeune public lors des confinements
. "Mossoux-Bonté, fabrique de mondes inédits", un entretien au long cours mené par Marie Baudet à l'occasion du Festival international des Brigittines