Focus sur les scénaristes de "Baraki", Prix SACD de la Série en 2021
Une série belge, mais pas située dans les Ardennes, une comédie colorée et joyeuse, un jeu subtil sur les clichés : quelques mots pour commencer à décrire Baraki, la série qui a valu à Peter Ninane, Julien Vargas, Sylvain Daï, Chloé von Arx et Pierre Hageman un Prix SACD en 2021. Nous leur adressons nos plus chaleureuses félicitations et vous proposons de découvrir ici leur bio, leur éloge par Jean-Luc Goossens, et un entretien passionnant avec Juliette Mogenet.
Les auteurs et autrice
Sylvain Daï est un acteur, metteur en scène et scénariste belge né en 1980 à Liège. Après ses études en Histoire de l'Art et au Conservatoire de Liège,
il se lance dans la mise en scène et l'écriture, en parallèle à l'interprétation. En 2012, il co–fonde le collectif pluridisciplinaire UBIK Group avec lequel il
crée trois spectacles ainsi que plusieurs formes entre théâtre et installation.
Depuis 2017, il se tourne également vers l'écriture de scénarios de série pour la télévision.
Né à Ottignies un chaud été de 1982, Pierre Hageman suit des études de multimédia à l'IAD. Durant huit ans, il pratique le motion design et la post–production. Mais sa réelle vocation est la dramaturgie.
Après un second master en écriture scénaristique à l'IAD, il va développer divers projets ne se concrétisant pas. Jusqu'à l'été 2019 où son sens de la comédie lui permet d'entrer dans la talentueuse writing room de Baraki.
Comédien diplômé du Conservatoire de Liège en 2004, Peter Ninane se produit sur les scènes des théâtres bruxellois pendant plus d'une dizaine d’années. En 2015, il décide de se tourner vers l’écriture scénaristique et la réalisation.
Co–créateur et scénariste de Baraki, Peter divise actuellement son temps de travail entre le développement de projets personnels en réalisation et la création de la saison 2 de Baraki.
Julien Vargas est né à Verviers un petit matin ensoleillé de juin 1983. Il y a développé un goût prononcé pour le théâtre et la tarte au riz. Comédien
professionnel depuis 2006, il a écumé les planches de nombreux théâtres bruxellois. On peut aussi parfois l'apercevoir brièvement au cinéma ou à la télévision.
Co–créateur et scénariste de Baraki, Julien y interprète le rôle d'Yvan.
Chloé von Arx est scénariste, autrice et comédienne. Elle est l’autrice d’une bande dessinée sur la manipulation affective (L’Arche de Noé, Éditions
Futuropolis), d’une comédie sur la famille recomposée (co–écrite et jouée avec Renaud Rutten à Liège), d’une comédie primée lors du Festival Performance d’auteur de 2011 (Le Nid), d’une série de sketches et de chroniques écrits pour la radio et de séries TV dont Baraki.
Suisse, elle vit en Belgique depuis 16 ans. Et pour longtemps encore.
L'éloge du Comité
Extrait des discussions confidentielles du Comité belge de la SACD.
— Et la nouvelle série belge ? Baraki !
— Ah ouais ? Dans les Ardennes ?
— Non, ce coup–ci c’est pas dans les Ardennes.
— Ah bon? Pas de sapins ? Pas de vues aériennes avec des drones ?
— Non, je t’assure: pas d’yeux crevés, rien de tout ça… Juste des dents cassées !
— Sérieux ? C’est super original alors !?
— Ah ouais… et même, c’est plutôt rigolo !
— Allez !? Une série rigolote sur la RTBF ?
— Humour belge! Et sur un format comédie: 26’. Depuis le temps qu’ils en parlent !
— Et c’est pas un peu vulgaire ?
— À fond ! Mais second degré! Tu sais quand elle dit des voisins : «Ils n’ont vraiment aucun goût !» Avec son accent des terrils ! Des barakis qui parlent d’autres barakis ! Trop fort !
— Ah ouais ? Donc on pourrait dire que… ça rejoint une forme de diversité qu’on défend ?
— Oui, on pourrait très bien vendre ça comme ça !
— En même temps… on va vraiment donner un prix à des barakis ?
— Ben… là on donne le prix aux scénaristes : les créatrices et créateurs, Peter Ninane et Julien Vargas, et puis Sylvain Daï, Chloé von Arx, et Pierre Hageman.
— Mais… t’es sûr que c’est pas des barakis ?
— Ce serait encore plus fort !
— Génial ! C’est vendu ! Et vive les barakis !
Jean-Luc Goossens, Président du Comité belge de la SACD
Baraki - Une déclaration d’amour à la belgitude
La première saison de Baraki est diffusée depuis le mois de septembre sur Tipik et disponible sur Auvio. En 20 épisodes de 26 minutes, on y découvre l’histoire d’Yvan et de son clan, la famille Berthet. Tous·tes mènent une existence pas si paisible à Marsoux, un village fictionnel qu’on pourrait situer aisément un peu partout en Wallonie.
À l’origine, le projet est écrit et développé par Peter Ninane et Julien Vargas. Le Fonds Séries Belges (FWB et RTBF) nous a fait confiance et ça a été une grande chance, explique Peter Ninane. On a vraiment appris en faisant, mais on a aussi pris conscience de nos limites à un moment donné. Quand le projet a pris de l’ampleur en termes de production et de format, on a eu besoin d’être accompagnés dans l’écriture.
C’est alors que Sylvain Daï, Pierre Hageman et Chloé von Arx rejoignent l’équipe des scénaristes. Plutôt que de se répartir les épisodes ou de se diviser le travail, iels optent pour un fonctionnement collectif : chaque texte du scénario final est passé entre les mains de chacun·e des auteur·trices. Iels ont tout co-signé, tout a été discuté et relu par tous·tes. Ce choix de méthode permet de créer une sorte d’unité de ton, mais aussi de mettre directement de côté la question de l’égo de chacun·e, explique Sylvain Daï. Pierre Hageman ajoute que le travail collectif a été hyper fluide, on s’est tous·tes intégré·es de manière très naturelle dans le projet. Il y a bien sûr eu des débats, des désaccords parfois, mais avec toujours beaucoup de respect et d’écoute des propositions de chacun·e. On a aussi vraiment travaillé dans un esprit de rigolade et d’amitié, qui nous ressemble et qui est aussi celui de la série.
Baraki est en effet une comédie colorée et joyeuse. Les personnages s’y dépêtrent de leurs embrouilles grâce à la solidarité amicale et familiale, avec débrouillardise et ingéniosité. On avait envie d’offrir une fiction sur un format long pour donner de l’épaisseur à ces personnages et les rendre touchants, explique Julien Vargas. On voulait jouer avec les clichés répandus sur les « barakis » et les dépasser : baraki est devenu une sorte d’insulte, mais à la base ça ne l’était pas ! Un·e baraki, c’est plutôt quelqu’un·e qui s’affranchit du regard des autres, qui sort de la norme et qui l’assume totalement. Iels sont finalement de bons remèdes contre les convenances et le caractère policé des interactions sociales : les barakis sont trop nature pour être
convenables !
Mais comment éviter les écueils de la moquerie, de la caricature ? Pour Julien Vargas, ce qui est compliqué avec la comédie, c’est qu’a priori tu dois grossir le trait pour provoquer le rire. Notre envie était de réussir à faire rire mais en gardant toujours beaucoup de tendresse pour nos personnages. Si on aime nos personnages, on se moque d’eux comme on se moquerait de nos meilleur·es ami·es : on les taquine, mais on ne les insulte pas. Une approche qui permet ainsi d’éviter la condescendance vis-à-vis de personnages issus de milieux fragilisés.
Sylvain Daï ajoute que l’important est que les spectateur·trices soient en empathie avec nos personnages : même s’iels sont parfois bêtes et méchant·es, iels restent touchant·es, complexes. Ce sont aussi des personnages qui trébuchent mais se relèvent : iels se prennent des portes, mais finissent par les ouvrir et par découvrir des choses positives derrière. C’est aussi ce qui nous différencie d’un cinéma social peut-être plus dramatique.
Les différentes couches du récit s’emboitent et s’interpénètrent : les thématiques et réflexions de société sont questionnées dans des situations à la fois
légères et touchantes. On a travaillé avec une méthode qu’on a appelée « les points d’entrée », explique Peter Ninane. L’équipe d’écriture a identifié toute une série de thématiques qu’elle avait envie d’aborder et les a incorporées dans des scènes et des intrigues qui respectent l’esprit global de la série.
En effet, si les scénaristes citent la série Shameless, le cinéma anglo–saxon et Ken Loach dans leurs références, iels insistent sur leur volonté d’éviter un traitement monochrome de leur sujet et d’aborder des thèmes sociaux difficiles dans une comédie positive. C’est avant tout un univers qu’iels connaissent bien qu’iels ont voulu mettre à l’honneur, un vivier duquel iels sont issu·es : On s’est inspiré·es de nos propres souvenirs, de copains, des villages où on a vécu et grandi, d’histoires qu’on nous a racontées, de gens qu’on a connus, explique Julien Vargas. Peter Ninane ajoute : On voulait aussi montrer que malgré les difficultés économiques ‒ qu’on ne minimise pas ‒ ce sont en fait des milieux très joyeux, festifs, où on s’amuse beaucoup. Les gens se satisfont de ce qu’iels ont, et ont finalement une approche de la vie assez saine, simple, spontanée et positive.
La série se veut ainsi également une déclaration d’amour à la belgitude, à la Belgique et à tous·tes ses habitant·es dans leur diversité. Un travail a notamment été mené sur la langue et les accents des personnages, pratiquement tous·tes incarné·es par des comédien·nes belges. On avait besoin que les acteurs et actrices aient un lien avec, ou tout du moins une connaissance de ce milieu qu’iels incarnent dans la série, explique Julien Vargas. De la salle d’écriture aux plateaux de tournage, les scénaristes ont travaillé dans un continuum avec les autres équipes, tant au niveau de la production que de la réalisation, sans oublier le dialogue avec les comédiens et comédiennes.
Pierre Hageman décrit la richesse de ce fonctionnement collaboratif : le fait d’être en lien avec tous les corps de métier, d’avoir une place sur le tournage et jusqu’au montage-même, de communiquer en permanence avec tous·tes et de pouvoir suivre le projet de la création à la finalisation permet de mieux appréhender l’ensemble des savoir-faire de toute la chaîne de production. Peter Ninane souligne également l’importance du soutien et des outils qui leur ont été apportés par la collaboration avec les équipes du Fonds Séries de la RTBF : iels nous ont fait confiance sur le fond et se sont mis au service de ce qu’on avait en tête en nous aidant à ne pas nous éparpiller.
Un très bel exemple de travail collaboratif réussi.
Entretien mené par Juliette Mogenet.
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