Focus sur Aurélie Vauthrin-Ledent, Jumelles d'Or de la SACD en 2021
Parce que les auteurs et autrices le valent bien, une amoureuse du théâtre lance en plein confinement une maison d'édition de textes dramatiques, Les Oiseaux de Nuit. Le Comité belge a souhaité saluer ce projet ambitieux et généreux en décernant à sa fondatrice, Aurélie Vauthrin-Ledent, ses Jumelles d'Or. Nous lui adressons nos plus chaleureuses félicitations et vous proposons de découvrir ici sa bio, son éloge par Christian Crahay, et un entretien passionnant avec Cécile Berthaud.
Les Jumelles d'or sont des mises à l’honneur symboliques annuelles de la part des membres du Comité belge de la SACD pour donner un coup de projecteur à des personnalités et / ou collectifs qui œuvrent en faveur des auteurs et autrices, de la création et la diversité culturelle en Belgique.
L'éditrice
Aurélie Vauthrin-Ledent est diplômée de La Sorbonne, du CNR de Rouen et du Conservatoire Royal de Bruxelles. Ses travaux avec L. Gaudé puis D. Danis épanouissent son goût pour l’écriture. Depuis 2006, elle met en scène.
Elle est également comédienne et joue sous les directions de P. Thomas, A. Van Stratum, R. de Putter, J. Youssfi…
En 2014, elle fonde L’Æncrophone. Elle coordonne l’atelier d’écriture « Francophonirique II » aux Doms. Depuis 2016, elle compose et chante sous le nom de « La Chouette et les Oiseaux de nuit ». En 2020, elle fonde « Les Amis Mots de Cie », et « Les Oiseaux de nuit – Éditions ».
L'éloge du Comité
En septembre 2020, alors que nous sommes recroquevillés dans un confinement douloureux, je fais un rêve étrange. De mystérieux oiseaux de nuit, courageux et téméraires, se sont perchés près de chez nous. On raconte qu’ils chantent les autrices et auteurs de théâtre belges francophones.
Intrigué, et moi-même comédien-auteur et curieux, je veux en savoir plus et je découvre avec jubilation qu’une multitude d’oiseaux aux plumages et ramages variés entourent une jeune femme décidée, curieuse, amoureuse de théâtre et de Belgique, Aurélie Vauthrin-Ledent. Ce n’était pas un rêve. Elle se présenta à moi. « J’aime votre pays et vos auteurs et autrices de théâtre et j’ai quitté mon Bordeaux natal pour fonder une maison d'édition, Les Oiseaux de nuit. Aujourd’hui, malgré les difficultés, je suis fière de vous faire partager plus de quarante-cinq textes de, sur et autour du théâtre écrits par des auteurs et autrices francophones. »
Une idée me vint. Pourquoi elle et son équipe ne mériteraient-t-elles pas d’être encouragées et récompensées pour ce jeune et courageux parcours dans le monde impitoyable de l’édition. Entre le rêve et la réalité, la SACD est heureuse de chanter un petit couplet avec ces nouveaux oiseaux. Bravo Aurélie.
Christian Crahay, membre du Comité belge de la SACD
Aurélie Vauthrin-Ledent - Le théâtre mis en page
En plein confinement, Aurélie Vauthrin–Ledent a créé une maison d’édition. Les Oiseaux de nuit publient du théâtre belge francophone. Des couvertures « rouge passion, rouge velours » abritent un seul fil rouge : « l’humanité en éveil ». Et caressent l’espoir que ces autrices et auteurs soient lus et joués à l’étranger.
Elle a la voix claire de celles qui savent ce qu’elles veulent. Elle a l’énergie de déplacer des montagnes pour arriver à ses fins. Elle a le franc parler des sincères. Et un enthousiasme charnu pour le théâtre belge qu’elle voudrait révéler à lui-même et au reste du monde.
Sa vitalité pour parler de la maison d’édition qu’elle a créée ne se tarit qu’au moment de la rituelle question « Qu’est–ce que cela vous fait de recevoir les Jumelles d’Or de la SACD ? ». Une réponse inopinément plate ‒ « Plein de choses » ‒ puis un silence précipité. Et dans un balbutiement aux syllabes serrées les unes contre les autres pour mieux conjurer le sort, elle laisse échapper « Ah ça y est, je suis dans l’émotion. » Comme si la dire c’était la contenir, elle retrouve ses mots clairs et précis. « Ça fait chaud au cœur. C’est une reconnaissance, une gratification, un tremplin, un moyen de faire connaître les textes. Les auteurs le méritent tant. Et moi, cela m’a beaucoup émue compte tenu de tout le travail que j’ai fourni. Ça fait du bien, tout simplement », conclut-elle.
Migration
Pour que Les Oiseaux de nuit viennent couver à Bruxelles, il aura fallu une migration, des embûches, du vent dans le dos et même une parade nuptiale. Mais avant tout, l’éclosion d’un amour sans borne pour le théâtre. L’envie de monter sur les planches lui vient à 13 ans, « et je n’ai jamais arrêté depuis » dit la Française de 40 ans. Elle fait un bac option théâtre (à raison de 15 heures par semaine) auquel elle ajoute des ateliers extérieurs. « Ces trois années-là, j’étais tétanisée sur le plateau. J’étais rouge, je ressemblais à une crevette. J’étais timide, mais déterminée. Être comédienne, c’est avoir plusieurs vies. Le théâtre a un pouvoir éducatif immense, il ouvre très vite les horizons, le cœur. C’était une synthèse de tout ce que j’apprenais par ailleurs. Et ça, ça m’a plu », développe-t-elle.
La deuxième révélation se fera à la Sorbonne, en Études Théâtrales. Elle se sent complètement dans son élément dans l’univers théâtral, y passe des moments mémorables. Elle a la chance de travailler avec un jeune auteur, à l’époque peu connu, Laurent Gaudé. Elle avait choisi ce séminaire d’écriture pour s’amuser. Elle a compris plus tard que ce que Laurent Gaudé a transformé en elle, c’est un potentiel d’écriture devenu capacité d’écriture
dramaturgique. « Un cadeau », considère celle qui a, depuis, écrit plusieurs pièces publiées chez L’Harmattan entre 2011 et 2015.
Elle voulait entrer au Conservatoire de Paris, mais n’est pas admise. Une main bienveillante la guide vers le Conservatoire de Rouen. Elle y passe une année de formation très musclée, quasi militaire.
Puis elle est admise au Conservatoire de Bruxelles. Une bonne nouvelle, à cela près qu’à l’époque, elle n’avait d’yeux que pour la France et ne voulait pas venir en Belgique. Sa mère, elle, y vivait. En allant lui rendre visite, celle-ci, « maline » l’incite à aller voir les examens de fin d’année du Conservatoire royal de Bruxelles. « J’ai trouvé ça magnifique. Et la première chose qui m’a sauté aux yeux, c’est qu’on faisait ici du sérieux sans se prendre au sérieux », se remémore–t–elle. Aurélie Vauthrin-Ledent arrive à Bruxelles en 2004 et, 17 ans plus tard, y est toujours. « J’ai mis du temps à aimer la Belgique, et maintenant j’en suis à vouloir la double nationalité ! »
À tire-d’aile
Elle joue, elle met en scène, elle écrit. Elle fonde une compagnie, L’Æncrophone. Elle crée en 2016 le Festival pluridisciplinaire Tri–Marrant, au Théâtre de la Vie. La 3e édition aura lieu en juin 2022. Elle compose et chante. Et, à l’aube du printemps 2020, germe une envie : publier les textes des auteurs et autrices de théâtre belges.
Plusieurs sources alimentent ce désir. Avant tout, celle de se rendre compte que la majorité des artistes autour d’elle sont aussi auteurs et autrices mais ne sont pas publié·es. « Il y avait du patri et du matrimoine en latence. Et pour moi, c’était une manière de déployer mon rapport au théâtre, tout en étant autonome. » Elle qui avait postulé à la direction de l’Atelier 210 voit aussi dans une ligne éditoriale un parallèle avec une programmation. « Et à l’époque, je voulais impressionner un mec. Je suis partie sur les chapeaux de roue pour ça. Entre l’idée et sa mise en œuvre, il s’est passé trois semaines. Puis il y a eu le confinement à cause du Covid et je me suis engouffrée dans cette brèche. C’était à la fois une fuite en avant et une façon de faire fructifier ce temps. » Le 13 septembre 2020, Les Oiseaux de nuit font paraître leurs seize premiers titres.
D’autres cieux
Avec sa bonne connaissance du paysage théâtral belge, Aurélie Vauthrin-Ledent va chercher les auteurs et autrices dont elle sait qu’ils ne sont pas publiés. D’autres viennent à elle. Personne ne sait à quoi cela va ressembler, mais tous et toutes lui font confiance. Cela lui donne des ailes. Elle est soutenue au début par son entourage ‒ proche et professionnel ‒ pour des aides tant pratiques que financières.
Elle lance un appel à mécénat car une maison d’édition ne peut pas être subsidiée avant deux ans d’existence. Contracte des emprunts. Travaille entre 8 et 14 heures tous les jours, dimanches compris, pendant un an et demi. Au total, 44 livres sont publiés la première année. Elle vise 5 à 10 par an, en rythme de croisière. Elle ne se rémunère pas ‒ elle espère tout au plus pouvoir se défrayer. « Mon objectif, c’est de diffuser de la culture. La Belgique regorge de talents qui peuvent être lus et joués à l’étranger sur base de ces ouvrages. Nos auteurs et autrices même en doutent, moi je n’ai aucun doute à ce sujet. Leurs textes peuvent être utilisés à l’école et dans les conservatoires, ils peuvent être un matériau de mise en scène en francophonie et ailleurs. Le but, c’est que les gens du métier ainsi que le public le plus large possible s’approprient ces textes. »
En somme, sortir de l’ombre grâce aux Oiseaux de nuit… Un projet bagué du sceau de la belgitude. Et de la certitude : pour gagner d’autres cieux à tire–d’aile, avoir la détermination de quitter le rouge brûlant de la timidité pour le rouge flamboyant du bon à tirer.
Entretien mené par Cécile Berthaud.
Pour aller plus loin
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