Skip to main content

Focus sur Johanne Saunier, Prix SACD Chorégraphie 2021

jeudi 13 janvier 2022

« Son écriture et ses créations se caractérisent par une composition structurelle et une qualité physique toujours pointues » : quelques mots pour commencer à décrire le travail de Johanne Saunier, à qui le Comité belge de la SACD a remis son Prix Chorégraphie en 2021. Nous lui adressons nos plus chaleureuses félicitations et vous proposons de découvrir ici une bio de l'autrice, son éloge par Michèle Anne De Mey, et un entretien avec Juliette Mogenet.


L'autrice

Dès 1986 Johanne Saunier danse chez Anne Teresa De Keersmaeker et continue de l’assister à ce jour.

Elle crée JOJI INC avec Jim Clayburgh qui reçoit le prix Bagnolet à Paris. Elle est l'interprète d'opéras de J. Van Dormael, Bondy, Cassiers, Aperghis, Clayburgh. Elle enseigne à PARTS et dans d’autres écoles européennes.

Elle crée des chorégraphies pour des ensembles musicaux et pour les opéras de Sivadier, Brandschweig. En 2018, elle met en scène son premier opéra à Lille. Ses Ballets Confidentiels avec Eléonore Lemaire et Richard Dubelski sont des concerts chorégraphiques. Ils sont artistes associés au Théâtre Garonne.

L'éloge du Comité 

Autrice, chorégraphe, Johanne Saunier commence son parcours comme brillante interprète pour des chorégraphes renommé·es. Dix années plus tard, elle débute son œuvre d’autrice chorégraphe avec la création de sa compagnie et la mise en scène et chorégraphie d’un opéra. Son écriture et ses créations se caractérisent par une composition structurelle et une qualité physique toujours pointues.

Elle enrichit son langage en créant des partenariats avec des scénographes, des créateurs et créatrices de lumière, des musiciens et musiciennes et des compositeurs et compositrices. En recherche permanente, elle adapte de nouveaux concepts à ses créations.

Elle enrichit sa personnalité d’autrice chorégraphe par son excellent travail de pédagogue et d’assistante chorégraphe.

Michèle Anne De Mey, membre du Comité belge de la SACD

Johanne Saunier, entre transmission, institutions et Ballets Confidentiels

Johanne Saunier est danseuse et chorégraphe. Son travail s’articule autour de quatre axes : sa collaboration Anne Teresa De Keersmaeker, un travail de création chorégraphique avec sa compagnie JOJI Inc mais également dans le monde de l’opéra. Enfin, elle crée depuis plusieurs années des performances et créations hors–cadre, les Ballets Confidentiels.

Ton travail et ton parcours se construisent autour de quatre pôles distincts qui pourtant se croisent et se rencontrent en de nombreux points de jonction. Peux–tu me parler un peu plus amplement de chacun d’entre eux ?

Ma collaboration avec Anne Teresa De Keersmaeker et Rosas est assez fondatrice dans mon parcours. Elle a commencé très tôt et a jalonné chacune de mes bifurcations et évolutions. C’est un des piliers de mon travail puisqu’il s’agit d'une relation de confiance et d’apprentissage perpétuel qui s’étend sur plus de trente ans. J’ai commencé comme interprète puis je suis devenue assistante et répétitrice. Depuis quelques années, je suis envoyée dans de grandes institutions pour remonter des pièces avec des danseurs et danseuses qui n’ont jamais dansé pour Rosas. Ce travail de transmission est très important et enrichissant pour moi : je peux enseigner à des danseur·ses professionnel·les des mouvements que j’ai moi–même dansés à l’époque. C’est un émerveillement d’être cette passeuse–là, de contribuer à ce que ces gestes continuent à vivre dans d’autres corps.

Cependant, je ne voudrais pas me cantonner à ce rôle. À l’époque, c’était déjà parce que je ressentais une réticence à devenir répétitrice que j’ai eu besoin d’entamer un travail avec d’autres personnes, en développant de nouveaux médias et en menant d’autres recherches. C’est ainsi que j’ai entamé notamment une collaboration avec Georges Aperghis autour de la voix. Ça a été le début d’un long travail ensemble et avec d’autres créateurs et créatrices d’opéra, qui perdure jusqu’aujourd’hui. J’ai également commencé à développer mon propre travail chorégraphique autour des années 2000, en créant ma compagnie JOJI Inc. avec le scénographe Jim Clayburgh. Mon projet Erase–E(x) a été un des points de jonction des différentes facettes de mon travail puisque j’y ai fait se croiser plusieurs de mes collaborateurs et collaboratrices de l’époque issu·es d’univers distincts.


J’ai le sentiment que les personnes avec lesquelles tu as choisi de collaborer tout au long de ton parcours et à chaque étape de celui–ci ont été assez déterminantes ?

Oui, la question de la collaboration est essentielle. Dans mon travail chorégraphique, j’avais commencé cahin–caha, avec mon cœur et mes idées, mais je sentais que quelque chose bloquait. J’étais peut–être trop formatée, je ne parvenais pas à sortir du cadre. C’est quand j’ai commencé à collaborer avec Jim Clayburgh que quelque chose s’est débloqué.

C’est aussi à partir de là que j’ai développé le quatrième volet de mon travail, celui des Ballets Confidentiels. C’est arrivé un peu par hasard, suite à un évènement anecdotique : des ami·es devaient venir voir une de mes pièces et n’ont finalement pas pu. Iels m’ont proposé de jouer chez eux pour rattraper le coup. Et là, il s’est passé quelque chose d’assez fort : j’ai compris que ce dénuement protocolaire me stimulait, que la proximité avec les spectateur·trices et la contrainte d’avoir à m’adapter à un espace exigu étaient fécondes pour mon travail. Ça a vraiment été une grande révélation et les Ballets Confidentiels sont nés de ça, il y a huit ans, en collaborant cette fois avec Ine Claes.

Ce sont des formats courts, adaptés aux contraintes de petits espaces sans pour autant renoncer à une certaine complexité, à une exigence de forme et de contenu, à des choix musicaux parfois difficiles d’accès. Je continue à penser mon travail comme étant « pointu », mais le fait de le ramener dans l’espace quotidien me permet de le rapprocher des spectateur·trices et de leur faire accepter ces propositions plus complexes. Danser dans des appartements, des cafés, des musées, des jardins était comme une ruse, qui me permettait tout à coup de traverser un tas de filtres et de blocages. Ça m’a donné de l’élan, j’ai eu la sensation de revenir à quelque chose de très authentique.

Au bout d’un moment, on a commencé à sentir les limites de ces propositions : on dansait parfois dans des endroits trop ingrats et à certains moments le dialogue avec le public n’avait pas lieu. Si l’espace est engorgé ou pas du tout adapté, la danse ne peut se déployer. On était aussi deux femmes qui dansaient dans une grande proximité avec le public… Ce choix formel que j’adore a aussi un côté plus sombre : il peut réveiller des vibrations sexuelles ou alimenter un rapport au corps des danseuses plus ambigu. Au 20e siècle, la danse classique s’est éloignée des cabarets pour cette raison : mettre une distance entre les danseuses et le public a permis de formaliser un éloignement des corps qui leur permette d’échapper à cet écueil de l’ambigüité corporelle et sexuelle.

Ine a décidé de se consacrer à d’autres projets, et je me suis alors associée en 2018 avec l’artiste lyrique Eleonore Lemaire pour donner un nouveau souffle aux Ballets Confidentiels. La voix lyrique remet tout de suite un paravent, une sorte de distance invisible qui permet de régler cette question de la trop grande proximité corporelle. Ça avait aussi beaucoup de sens pour moi que les différents paramètres de mon travail se rejoignent et s’alignent : la voix lyrique, le corps, les espaces exigus et la proximité.


Et aujourd’hui, où en es–tu ? Quels sont tes projets actuels et futurs ?

La crise qu’on a traversée collectivement m’a ébranlée. Je pensais que j’étais libre comme l’air, puisque j’avais développé un mode de production qui me permettait de travailler et de vivre en dehors de toute contrainte institutionnelle, sans dépendre d’être programmée ici ou là. Mais quand tout s’est arrêté avec la crise du Covid, ça s’est arrêté pour nous aussi. Les créations reprennent, heureusement : je travaille actuellement pour Rosas à Copenhague et nous sommes artistes associées au Théâtre Garonne à Toulouse avec les Ballets Confidentiels. On travaille actuellement sur une nouvelle création autour de la figure de Barbe Bleue.

Je voudrais continuer à travailler dans cet équilibre entre mon travail de transmission avec Rosas, l’opéra, le cadre institutionnel de certains projets et le développement des Ballets Confidentiels dans des lieux et courants moins balisés.


Entretien mené par Juliette Mogenet

Pour aller plus loin

. Visitez le site des Ballets confidentiels et leur compte Instagram

. Parcourez le site de la compagnie JOJI inc.

. Lisez la page Bela de Johanne Saunier

. Découvrez l'ensemble du plamarès des Prix SACD 2021

 

Focus sur Johanne Saunier, Prix SACD Chorégraphie 2021
Corinne Tarpinia