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Focus sur Roda Fawaz, Prix SACD Spectacle vivant 2021

mardi 21 décembre 2021

« Un homme du Monde, poète, bourré de saines contradictions, chargé d’humour et de convictions» : quelques mots pour commencer à décrire Roda Fawaz, à qui le Comité belge de la SACD a remis son Prix Spectacle vivant en 2021. Découvrez ici une bio de l'auteur, son éloge par Christian Crahay, et un entretien avec Juliette Mogenet.


L'auteur

Roda Fawaz est un auteur et comédien belge d’origine libanaise.

Au théâtre, il joue dans de nombreux spectacles dont son énorme succès On The Road...A, mis en scène par Éric De Staercke qui lui vaut plusieurs récompenses en Belgique (Prix de la Critique de La meilleure découverte en 2016 et le Label d’Utilité Publique en 2017). Il écrit et interprète L’Homme qui passe et son one–man–show Quarts d’identité.

On le retrouve aussi dans différents projets au cinéma et à la télévision. Il travaille actuellement à la co–écriture et la co–réalisation de son premier long métrage La Salle des pas perdus avec Thibaut Wohlfahrt, et sur son nouveau seul en scène C’est qui c’fou ? (titre provisoire) mis en en scène par Éric De Staerck.

Pour en savoir plus, consultez vite sa page Bela

L'éloge du Comité 

À l’école de théâtre, un professeur repère au fond de la classe un oiseau de mer à la vue perçante. Ce prof ne lui apprendra rien car il découvrira vite qu’il est de cette race d’acteurs–nés qui se forge sa propre discipline et se nourrit de chacune de ses expériences. Observez–le bien ce paquet d’humanité. Regard vif, sourire tendre, c’est une baleine blanche dans l’océan des folles et des fous qui osent monter seuls sur les planches.

Auteur, comédien, réalisateur libano–belgo–maroco–guinéen, et italien quand il sort en boîte, voici un homme du Monde poète bourré de saines contradictions. Chargé d’humour et de convictions, il nous prend la main, et nous emmène dans des lieux où, sans en avoir l’air, subtil, il partage ses doutes sur qui il est, son besoin d’écouter les autres, ses colères, ses joies, sa compassion, sa volonté d’ôter les barrières, ses interrogations sur les injustices et la cruauté de notre époque.

Nous devenons alors son frère, son père, sa mère, son ami, sa famille. Il n’est jamais seul sur scène, ses nombreux personnages l’accompagnent et jouent avec lui. Il est le frère de Philippe Caubère. Alors dans la nuit, sur le chemin du retour, on se dit: « Le respect et la bonté sont encore possibles ».

Merci Roda.


Christian Crahay, membre du Comité belge de la SACD

Roda Fawaz, Les identités multiples

Arrivé au théâtre par hasard, Roda Fawaz y a tracé un chemin singulier : entre stand up et mises en scène plus construites, la question des identités multiples traverse chacune de ses créations. Il y déjoue tous les clichés dans une langue rythmée et efficace. Prix de la Découverte aux Prix de la Critique en 2016 pour son seul en scène On the road…A, il monte ensuite Dieu le Père en 2020.

Tu es arrivé au théâtre un peu par hasard, alors que tu te destinais à travailler dans le secteur du tourisme… Comment s’est passée ta rencontre avec cet univers inconnu jusqu’alors ? Ce fut un coup de foudre, une évidence, ou un chemin plus accidenté ?

Je pensais que travailler dans le tourisme, ce serait voyager et aller à la rencontre des gens… Mais quand j’ai fait mon stage dans une agence de voyages, je me suis vraiment beaucoup ennuyé. À peu près au même moment, un de mes professeurs a affiché dans un local une note de l’Académie d’Etterbeek qui cherchait des participant·es pour un projet. Dans notre formation en tourisme, l’aspect « animation » m’attirait déjà… J’y suis allé et j’ai vraiment découvert un monde nouveau. Je ne lisais pas, je n’allais pas au théâtre : je ne savais pas si ce serait possible pour moi de m’intégrer dans ce nouvel univers, même s’il m’a vraiment attiré dès la première rencontre. J’ai dû me débattre avec certains questionnements, avec quelques barrières. Finalement, j’ai intégré le Conservatoire de Bruxelles, puis j’ai bifurqué vers l’IAD où j’ai fait tout mon cursus.

Ton tout premier spectacle Quarts d’identité était un spectacle de stand up. Tu as ensuite collaboré avec des metteurs en scène avec lesquels tu as créé des spectacles en utilisant d’autres codes que ceux du stand up. Peux–tu me parler de ces collaborations et de la façon dont elles ont nourri et fait évoluer ton travail ?

J’ai toujours voulu faire de l’humour. J’ai adoré monter et jouer Quarts d’identité mais à un moment, j’ai ressenti les limites de ce format stand up. J’avais envie d’utiliser ce que j’avais appris à l’IAD et d’explorer une palette d’émotions plus large ainsi que des techniques de jeu que je délaissais dans le stand up. Les collaborations avec Éric De Staercke et avec Pietro Pizzuti ont été évidemment très enrichissantes pour construire des spectacles qui me ressemblaient toujours mais me permettaient aussi d’aller plus loin, d’apprendre.

Plus largement, ces deux rencontres et celle d’Angelo Bison ont été déterminantes dans mon parcours. Éric De Staercke était un de mes professeurs à l’IAD : il connaissait mon goût pour le seul en scène. Quand on a travaillé ensemble sur On the road…A, il m’a vraiment aidé à creuser l’écriture, à l’approfondir pour en faire un texte qui utilise les ingrédients de la scène. Il maîtrise parfaitement l’art de faire passer le texte du papier au corps. J’ai également connu Pietro Pizzuti quand j’étais à l’IAD. On a ensuite continué à se suivre mutuellement, il connaissait déjà mon travail. En travaillant avec lui sur Dieu le Père, j’avais envie d’explorer des terrains que je ne connaissais pas, d’utiliser vraiment tous les ingrédients du théâtre, de créer un spectacle plus construit, plus baroque. Je voulais m’éloigner encore plus de mon style stand up.

Mais je sais que malgré ça je reste un peu inclassable : pour les gens de théâtre je suis un pur produit du stand up, pour les gens du stand up je suis un théâtreux !


Ces projets et collaborations t’ont donc permis de formaliser différemment sur scène ces textes que pourtant tu écris seul. Comment es–tu passé de comédien à auteur ? Est–ce que l’écriture est un geste naturel pour toi ?

J’ai toujours aimé observer et prendre note mentalement de moments marquants, d’anecdotes. À l’IAD, le cours d’écriture avec Paul Emond a été une révélation pour moi : j’ai commencé à puiser dans mes souvenirs pour raconter ma vie par écrit. Je suis allé plus loin dans cette démarche quand j’ai écrit On the road…A : en racontant mes souvenirs, je mettais aussi sur papier toutes ces questions identitaires qui tournaient dans ma tête.
J’écris toujours en partant de ma réalité, et j’ajoute ensuite une couche d’imaginaire. J’ai besoin que le nœud du sujet soit personnel, et ensuite je peux m’en éloigner.

J’écris souvent très vite, tout sort en une traite, puis je retravaille pour l’adapter à la scène et au spectacle, même si dès le premier jet j’ai en tête que le texte est écrit pour être joué. En écrivant, je pense déjà à ce que je veux provoquer chez les spectateur·trices : j’ai envie de les faire rire mais aussi de les émouvoir par ce que je leur raconte.

 

Dans Dieu le Père, j’ai l’impression que tu as approfondi ce côté plus émouvant, tendre et introspectif. On y retrouve également la question de la quête d’identité et des identités multiples que tu posais dans On the road…A, cette fois–ci élargie aux conditionnements identitaires, aux poids des diverses transmissions (éducative, religieuse, culturelle)…

Oui, on est allés vers plus de tendresse, plus d’émotion dans le travail avec Pietro. Je ne voulais pas être un clown qui cache ses émotions derrière le rire, je voulais assumer une certaine sensibilité. Le sujet s’y prête aussi, puisque c’est un spectacle qui parle effectivement de tous les conditionnements identitaires qui pèsent sur chacun·e d’entre nous. C’est aussi un spectacle qui parle de la vie de ma mère. Je voulais montrer que sous le voile, il y a une personne humaine, qui est éminemment complexe et qui ne se résume ni à ses origines ni à sa religion.

Tu es en train de préparer ton prochain spectacle. Est–ce que tu peux déjà nous en parler ?

Je suis en train de travailler sur un nouveau texte avec Éric De Staercke. J’ai eu envie de revenir à une écriture scénique plus épurée, à un spectacle plus léger, plus facile à monter. Je voudrais pouvoir le jouer partout facilement et retrouver un rapport plus frontal et direct au public. C’est aussi la pandémie et cette période d’isolement qu’on vient de traverser qui me donnent cette envie d’aller à la rencontre des gens, de ne pas m’enfermer sur une scène trop loin des spectateurs et des spectatrices.

Propos recueillis par Juliette Mogenet

 

Focus sur Roda Fawaz, Prix SACD Spectacle vivant 2021
© Arié Elmaleh