Focus sur Myriam Pruvot, Prix SACD & Scam Radio en 2021
Elle « nous emmène en douceur vers ce qui est invisible à l’œil nu » : quelques mots pour commencer à décrire le travail de Myriam Pruvot, que les Comités belges de la SACD et de la Scam ont récompensée de leur Prix Radio commun en 2021. À cette occasion, nous lui adressons nos plus chaleureuses félicitations, et vous proposons de lire l'éloge des Comités ainsi qu'un entretien passionnant de la créatrice avec Cécile Berthaud.
L'autrice
Myriam Pruvot est artiste, musicienne et performeuse. Si sa démarche emprunte de nombreux supports, elle est néanmoins toujours innervée par la question du chant, du langage et des lieux. Diplômée des Beaux–Arts, elle s’est parallèlement formée à l’improvisation, aux techniques vocales et à la création sonore.
Elle a collaboré, en tant qu’autrice et interprète à de nombreux projets radiophoniques, musicaux, chorégraphiques. Son travail a été montré lors de nombreux festivals en Belgique, en Europe et au–delà. Elle compose en 2021 un opéra de chambre radiophonique co–produit par le festival Archipel à Genève puis en tournée en France et Belgique.
En 2022, elle participera à l’invitation de l’Ensemble Ictus au Festival Europalia.
L'hommage du Comité
Myriam Pruvot manie le son comme l’on chanterait une chanson ancienne. Elle sait à merveille transformer les mots en musique, les sons en mots, donner du sens aux sons. À mitan du documentaire et de la fiction, elle recueille comme matière des bribes du réel et les mixe pour raconter bien plus que ce qui est dit. Le moindre détail semble posséder une intrigante musicalité, à la fois subtile et précieuse.
Son récit aux allures d'enluminures met en exergue ses personnages et nous fait voyager à travers des temps et des lieux que l’on croyait connaître, qui se révèlent bien plus lyriques que dans notre imaginaire. On entend la matière vivante des mots, mais aussi ce qu'il y a entre les mots, car les silences, les souffles, les hésitations sont les vrais endroits du réel de son propos. Ainsi, la dramaturgie nous emmène en douceur vers ce qui est invisible à l’œil nu. Vers une pensée qui se révèle politique, sociale et culturelle.
La «dynamique», techniquement «différence entre les sons les plus forts et les plus faibles», c'est aussi l'espace de notre liberté d'auditeurice. Dans les pièces radiophoniques de Myriam, elle est profonde.
Nous décernons un prix commun SACD et Scam à Myriam pour cette liberté qu'elle nous donne.
David Chazam, membre du Comité Belge de la SACD, Muriel Alliot, membre Du Comité Belge de la Scam, et les membres De La Commission Sonore, Ecaterina Vidick, Rémi Pons, Marie Betbèze et Isabelle Rey.
Myriam Pruvot, Chants, sons, en corps et encore
Artiste sonore et vocaliste, Myriam Pruvot explore la forme et hybride la matière – son de drone et musique folk ; berceuses et opéra… – en gardant toujours en trame de fond la question du chant, du langage et des lieux.
La lumière du jour vient ouater le salon clair et épuré. À cette quiétude intérieure fait face le silence matinal de ce grand parc bruxellois. Entre les deux, la rue crisse, couine, tintinnabule, hèle et ruisselle jusqu’au rond-point posé là comme un point d’orgue interminable.
Table en formica et marbre sculpté.
Chicorée dans la tasse et mise étudiée.
Délicatesse de l’être et révolution du faire.
Comment Myriam Pruvot parvient-elle à entremêler harmonieusement ce qu’on se tue à séparer hermétiquement ? Peut-être parce qu’elle accepte
d'emprunter des chemins parallèles, de se faufiler dans les brèches, d’accueillir le hasard.
La bifurcation
Son trajet artistique démarre quand elle quitte Montreuil (Ile de France) où elle a grandi pour aller étudier le dessin et la peinture aux Beaux-Arts de Marseille. Mais assez rapidement, le dessin devient une impasse. « Je crois que je n’avais pas les codes », analyse-t-elle aujourd’hui. Elle découvre Marseille, aime ses facettes tout en contrastes et marche beaucoup dans la ville et dans la montagne environnante.
« Un jour, on m’a prêté un enregistreur et j’ai commencé à m’enregistrer, moi chantant dehors. Je suis revenue aux Beaux-Arts avec cette matière et autant ce que je faisais en dessin n’était pas très ‘reçu’ à l’époque, autant ça il y avait quelque chose. J’arrivais avec une pratique chantée, en extérieur et improvisée. C’était hors cadre. Ni technique, ni savant, ni propre (techniquement parlant), mais ça m’était personnel et ça a intrigué certains enseignants », raconte-t-elle.
À partir de là, le cheminement va être assez long. Dans les années 2000, les arts sonores ne sont pas dans l’air du temps. Myriam Pruvot, elle, découvre un outil, un médium : la voix chantée qui sera une clef de voûte pour la suite. Parallèlement, faire de la captation, déambuler en ayant un casque sur les oreilles engendrent chez elle une satisfaction profonde.
C’est l’époque où les outils digitaux se démocratisent et où les web radios pointent leur nez. « Cela m’a permis de faire pas mal de choses sans avoir beaucoup d’argent et sans devoir passer par des institutions. Du coup, il n’y avait pas de calibrage, et donc une grande liberté », explique-t-elle. Elle décide de rejoindre l’École Nationale Supérieure d'Art de Bourges où elle mène une double pratique : sonore et d’édition (imprimée). Elle s’y épanouit. D’autant qu’elle rencontre là un enseignant qui accueille particulièrement bien sa pratique sonore. Auprès d’un autre, ses horizons s’élargissent : « Il ne faisait pas de hiérarchie entre musique populaire et musique savante. Dans son cours, tout cela se mélangeait. Et ça m’a portée à faire moi–même des hybridations, à faire d’autres choses. »
Son diplôme en poche, elle enseigne l’édition pendant quelques années. Elle continue bien sûr son exploration du sonore et se met aussi à enchaîner les stages de danse. Elle comprendra plus tard cet élan chorégraphique : « Déjà dans la montagne mon corps était impliqué dans ma démarche de captation. »
Les croisements
À 30 ans, elle s’autorise à être artiste, décide de vivre de son travail d’artiste. Elle arrive en 2011 à Bruxelles ‒ « Je trouvais qu’il y avait quelque chose de moins cloisonné en Belgique. » ‒ et se rapproche du monde de la chorégraphie. Elle travaille comme interprète en chant et danse, et compose des créations sonores pour des spectacles. Elle noue des liens avec Myriam Van Imschoot, performeuse sonore, Christophe Rault, cofondateur d’Arte Radio, Vincent Dupont, chorégraphe, Dominique Petitgand, réalisateur de pièces sonores, l’équipe de l’Atelier de création sonore radiophonique bien sûr, et la liste est encore longue.
En 2018, les Halles de Schaerbeek envoient une variété d’artistes en résidence au Maroc avec une commande sur leur vision du sacré. « Je prépare plein d’éléments, notamment sur les chants sacrés, sur l’oralité, sur la voix. Et rien ne se passe comme prévu : je ne peux pas rencontrer les personnes souhaitées, je n’ai pas d’autorisation pour enregistrer dans la ville… Mais au milieu de la médina, il y avait une fondation où se donnaient des cours de chant, de calligraphie, de conte, de musique. Alors je vais enregistrer des gens là, pendant des heures et des heures. Et je me perds. Je rencontre des personnes généreuses et on partage à travers les poèmes, les mots, le vocal, le conte, la spiritualité. Nos échanges mènent à des questionnements presque métaphysiques. Et dans ce trajet inconfortable, il y a quelque chose qui se résout dans les conversations avec Noureddine Ezarraf : à travers ce que le patriarcat et le colonialisme ont fait à la langue, émergent des formes d’échos », expose-t-elle.
De cette expérience déconcertante, elle tire deux formes. Une installation aux Halles de Schaerbeek faite de haut–parleurs en diffusion aléatoire pour reconstituer le trouble qu’elle avait connu. Et une pièce de création radiophonique de 52 minutes, Je parle toutes les langues, mais en arabe.
La crête des montagnes
Elle réalise sa première pièce de fiction en 2021, une sorte de petit opéra de chambre radiophonique qui sera doublé d’une forme live. De la fiction, mais à la matière issue d’expériences du paysage, de l’écoute et de… Marseille. « J’utilise la forme la plus verticale, la plus occidentale qu’est l’opéra. En y versant de ‘petites choses’, des créations peu reconnues telles les berceuses ‒ pas savantes, anonymes… C'est une forme chantée en chœur avec des enregistrements de terrain et de l’expérimental. C’est la première fois que je travaille avec des interprètes, et j’ai adoré faire ça ! », se réjouit-elle.
La joie point aussi grâce à ce Prix de la Scam et de la SACD qu’elle savoure tant pour elle que, plus globalement, pour les femmes artistes. Publier son travail, quand on est une femme, est encore une grosse bataille.
Myriam Pruvot l’a fait en se glissant dans les brèches. Elle voudrait tant que soit épargnée aux suivantes cette dépense folle d’énergie et de temps. À La Cambre, où elle fait partie des quatre femmes à donner un module de création sonore et musique expérimentale (créé en 2019), elle veille à partager et mettre à profit ses expériences et son parcours. Cesser de se faufiler et filer droit au but. L’artiste singulière est guerrière collective. Une et hybride.
Entretien mené par Cécile Berthaud.
Pour aller plus loin
. Visitez la page Bela de Myriam Pruvot et son site www.myriampruvot.com
. Écoutez sa pièce radiophonique Je parle toutes les langues, mais en Arabe
. Découvrez l'ensemble du palmarès des Prix SACD 2021