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Focus sur Benoît Mariage, Prix SACD du Parcours cinématographique 2021

lundi 24 janvier 2022

« Une description pointue de la nature humaine, (...) un regard sur la vie, (...) une représentation décalée du monde » : quelques mots pour commencer à décrire le travail de Benoît Mariage, à qui le Comité belge de la SACD a remis son Prix du Parcours cinématographique en 2021. Nous lui adressons nos plus chaleureuses félicitations et vous proposons de découvrir ici une bio de l'auteur, son éloge par Luc Jabon, et un entretien avec Juliette Mogenet.


L'auteur

C'est pour le magazine Strip–Tease de la RTBF que Benoît Mariage débute en tant que cinéaste. En parallèle, il produit et réalise de nombreux documentaires, principalement en Afrique.

Et ce n'est qu'à 36 ans qu'il tourne sa première fiction : Le Signaleur, un court métrage qui recevra en 1997 le grand prix de la Semaine de la Critique à Cannes. Il reçoit l'année suivante la reconnaissance internationale avec son premier long, Les Convoyeurs attendent. Suivent alors L'Autre (2003), Cowboy (2008) et Les Rayures du Zèbre (2013). Son dernier film, Habib, sortira au printemps 2022.

Benoît Mariage encadre depuis 15 ans un atelier d'écriture et de mise en scène à l'IAD.

 

L'éloge du Comité 

De son court métrage Le Signaleur, réalisé en 1997, aux Rayures du Zèbre (2014) avec toujours Benoît Poelvoorde, en passant par Les Convoyeurs attendent (1999) et Cowboy, sans oublier ses séquences pour Strip–Tease, ce qui noue les films de Benoît Mariage, c’est un ton, un style qui lui est propre. Ce ton ne relève pas seulement d’une description pointue de la nature humaine, mais d’un regard sur la vie.

Telle Agnès Varda, dont il admire le Sans toi ni loi, Benoît filme ses fictions avec la texture du documentaire. Une représentation décalée du monde. Partant de situations souvent sarcastiques, il nous immerge au cœur de qui nous est commun: notre vulnérabilité. Voilà pourquoi cette immersion dans laquelle il nous plonge sonne si juste, peu importe le registre choisi, ironique ou dramatique.

Benoît Mariage est aussi un cinéaste du partage. L’amitié est dans son ADN, et ce n’est pas pour rien qu’il est depuis si longtemps un enseignant estimé à l’IAD, école de cinéma.

Le prix cinéma qui lui est décerné par la SACD ne célèbre pas seulement le parcours d’une œuvre. Il ponctue plutôt un formidable travail de créateur toujours en plein essor.


Luc Jabon, membre du Comité belge de la SACD

Benoît Mariage, des films de fiction pour dire le vrai

D’abord réalisateur de documentaires, Benoît Mariage a réalisé son premier long métrage de fiction en 1999, le très remarqué Les Convoyeurs attendent. Suivirent ensuite L’Autre en 2003, Cowboy en 2007 et Les Rayures du Zèbre en 2014. En parallèle, il a continué à réaliser des
documentaires, notamment On the road again sur le cinéma de Bouli Lanners. Il reçoit aujourd’hui le Prix Parcours Cinéma pour l’ensemble de son œuvre. Rencontre.

Il me semble qu’il existe un rapport étroit entre documentaire et fiction qui traverse tous tes films : on sent que la jonction entre ces deux pratiques est au point de départ non seulement des sujets que tu abordes, mais aussi de la façon dont tu les traites. Peux–tu m’en parler ?

Je suis effectivement arrivé à la fiction à un moment où j’ai ressenti les limites du documentaire ! J’avais envie d’utiliser un nouvel outil pour raconter autrement les histoires. Avec Les Convoyeurs attendent, j’ai voulu créer un personnage de fiction pour lui donner le relief, la complexité, les fêlures mais aussi la tendresse que je n’avais pas toujours pu ou su donner aux personnes que j’avais filmées dans un cadre documentaire. Et puis, quand on réalise un film, on paie des comédien.nes pour jouer un texte et incarner des personnages.
Le rapport est plus clair, plus tranché qu’avec les personnes qu’on filme pour un documentaire, face auxquelles la posture du réalisateur peut devenir plus ambigüe.

Cowboy est une histoire de documentariste contrarié. Le scénario est un peu autobiographique : je voulais mener une investigation personnelle sur Michel Strée, qui avait pris en otage en 1980 des élèves dans un bus scolaire pour avoir accès à l’antenne sur la RTBF et dénoncer les injustices sociales. Je voulais réunir les protagonistes dans un bus vingt ans plus tard. Je pensais avoir une idée géniale pour montrer l’évolution de la société, mais ça ne fonctionnait pas du tout, plus personne ne se sentait concerné. Le documentaire n’aurait pas eu de sens, alors j’en ai fait un film de fiction.

J’ai utilisé comme point de départ ce décalage entre la projection personnelle du film fantasmé et la réalité de ce que devient le documentaire sur le terrain. Il y a un gouffre, au cinéma, entre le désir et la réalisation du désir. Ça m’intéressait aussi de questionner l’échec et de montrer un personnage qui vit dans un décalage total entre le propos tenu et son mode de vie, et qui finalement atteint une sorte de révélation, de justesse avec lui–même et avec les autres au moment où il reconnaît son échec, où il l’accepte.

Dans Les Rayures du Zèbre, on suit un agent qui repère des joueurs de foot en Afrique pour les ramener dans son club à Charleroi. À nouveau, le point de départ est une rencontre dans la vraie vie avec un agent, mais la fiction me permet d’aller plus loin. Je voulais montrer aussi les désirs inconscients et les désirs conscients qui se télescopent : en surface, le but de José Stockman, le personnage joué par Benoît Poelvoorde, est de ramener des joueurs pour gagner de l’argent, mais en filigranes on devine un désir de paternité…

Finalement, écrire et réaliser de la fiction, c’est pouvoir faire ce qu’on veut ? Ça permet d’aller chercher une nouvelle vérité, plus personnelle, plus subtile, à laquelle le documentaire ne permet pas forcément d’accéder ?

Exactement, le documentaire est déjà un mensonge, un montage, une interprétation de la réalité. La fiction est évidemment un mensonge encore plus gros, mais qui à mes yeux permet d’accéder plus rapidement à une sorte de vérité. Je pense qu’en fait, dans mon travail, la fiction est le meilleur moyen pour aller chercher cette vérité qui se cache derrière la réalité. Quelque part, le documentaire est une bonne école pour la fiction : quand tu as travaillé dans le documentaire, tu acquiers une sorte de souplesse, une faculté d’observation de la vie, dont tu as besoin pour la fiction.

Le but, c’est que les scènes soient organiques, qu’elles respectent la vie telle qu’elle est, même si elles sont pure invention. Aussi, c’est tellement compliqué de faire de la fiction, tellement difficile de réaliser un bon film, que tu as envie de continuer à apprendre, à essayer encore ! Et puis, quelle liberté de pouvoir aller là où on veut !


Dans chacun de tes films, il y a une sorte de couverture d’humour, d’ironie, d’absurdité, sous laquelle on découvre des questions plus profondes. Tu parles de choses parfois graves avec une certaine légèreté. Toute ta filmographie est ainsi traversée par certaines thématiques communes : l’échec, les liens de paternité et de fraternité entre hommes ou encore la prise de conscience personnelle, les trajectoires qui bifurquent… Ça te semble juste ?

Oui, l’ironie et l’humour ne sont pas une posture pour moi, c’est une façon naturelle de regarder la vie et de réagir aux événements, que je portais déjà en moi avant de faire du cinéma. Par contre, je sais que la frontière entre la tendre ironie et le cynisme est parfois ténue, j’essaie de rester du bon côté. J’essaie de rester tendre avec mes personnages : même quand ils sont de vrais crétins, comme le personnage du père dans Les Convoyeurs attendent, je ne veux pas qu’ils soient uniquement sombres ni que les spectateur·trices soient dans une émotion négative. Même si le ciel est plein de nuages, il doit y avoir un rai de lumière, quelque chose de lumineux quelque part.

Peut–être que ce qui relie tous mes films, ce sont les méandres de l’aventure intérieure, l’idée de devenir ce que l’on est vraiment. Dans chacune de leurs histoires, mes personnages principaux quittent le film avec un degré de conscience plus élevé, qu’ils n’avaient pas au début. Et c’est souvent l’échec qui leur permet cette prise de conscience, cette nouvelle naissance. Ils vont de la mort vers la vie : il y a toujours au début quelque chose de mort en eux qui est plus vivant à la fin. J’aime l’idée de montrer, de dire sans le dire que ce parcours-là est possible, que c’est finalement peut–être la seule trajectoire qu’on a à parcourir dans la vie.

Il sera question de ça aussi dans mon prochain film, qui raconte l’histoire d’un jeune acteur immigré qui doit répondre aux exigences des différents milieux qui composent son existence : d’un part une famille musulmane pratiquante, d’autre part son milieu professionnel dans lequel il est parfois confronté à la honte de ses origines…


Entretien mené par Juliette Mogenet.

Pour aller plus loin

. Lisez la page Bela de Benoît Mariage

. Découvrez l'ensemble du plamarès des Prix SACD 2021

 

Focus sur Benoît Mariage, Prix SACD du Parcours cinématographique 2021