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Coup de projecteur sur la Compagnie MAPS, Prix Jumelles d'or SACD 2022 !

lundi 19 juin 2023

© Cie MAPS

Collectif d’artistes engagé.es, la compagnie MAPS met en place au sein de son écosystème créatif "divers projets qui permettent de soutenir les auteur.ices et artistes dans des étapes de travail habituellement peu visibles, solitaires et très peu soutenues". Du laboratoire de recherche, en passant par la résidence d'écriture "enfants admis", elle est un "gage de solidarité" aux auteurs et autrices. Découvrez sans attendre l'éloge réalisé par Caroline Logiou, membre du comité belge et l'entretien d'Emmanuel de Candido et Stéphanie Mangez, membres fondateurs de la compagnie, par Juliette Mogenet !

L'éloge du Comité belge

La Compagnie MAPS est un collectif d’artistes engagés sur des questions de société proposant des écritures originales et percutantes. Ils sont également à l’initiative de laboratoires de recherche et de résidences d’écriture. Avec la Résidence « Enfants admis », le Comité tenait à saluer l’attention portée ici à un des impensés de notre profession : comment être parent et artiste ? Nous avons voulu récompenser le caractère novateur de cette résidence qui est, à notre connaissance, unique en Belgique. Celle-ci permet à des auteur·trices d’écrire alors que leurs enfants sont pris en charge par une puéricultrice. Une initiative précieuse quand on sait que notre métier présente des singularités parfois difficilement conciliables avec la vie de famille : déplacements fréquents, horaires décalés, précarité financière, milieu très concurrentiel, un besoin d’espace et de temps pour laisser venir à nous l’écriture.

La résidence mise en place par la Compagnie MAPS est un gage de solidarité et une réponse très concrète apportée aux auteur·trices avec de jeunes enfants. Nous sommes heureux.ses de pouvoir mettre en valeur leur engagement, leur créativité et leur sens du commun. Un tout grand merci à eux !

Caroline Logiou, membre du Comité belge de la SACD

Un joyeux mélange de créativité et de revendications, entretien réalisé par Juliette Mogenet

 

La compagnie MAPS a fêté ses dix ans il y a quelques semaines lors d’un focus au Théâtre des Martyrs. Depuis 2013, Stéphanie Mangez, Emmanuel De Candido et Philippe Beheydt d’abord puis Olivier Lenel à sa suite œuvrent à construire un écosystème créatif innovant à offrir comme terreau à leurs créations propres mais également en soutien à celles des autres. Les Jumelles d’Or récompensent aujourd’hui leur engagement et leur implication en faveur des auteur.ice.s et de leurs conditions de travail.

Rencontre avec les inépuisables Stéphanie Mangez et Emmanuel De Candido, responsables pour la compagnie des projets liés à l’écosystème de la création.

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Quelles ont été la genèse et la trajectoire de la Compagnie MAPS ? D’ailleurs, de quoi MAPS sont-elles les initiales ? Aviez-vous dès le début cette attention portée aux conditions de création et de production de vos spectacles ? Quels étaient vos premiers projets ?

 

Stéphanie et Emmanuel  MAPS, c’est l’acronyme formé par les initiales des membres fondateurs de la compagnie : Manu, Philippe, Stéphanie et Adrien (à l’administration). Et puis Philippe est allé vivre et travailler en France et nous avons été rejoints par Olivier. ‘Maps’, ça veut dire ‘carte’ en anglais, et dès nos premiers projets, on travaillait sur des questions de migrations, d’identités, de territoires : ça avait du sens.

Notre tout premier projet, Untitled, était un festival de lectures de textes d'auteurs et d’autrices iranien.es qui étaient censuré.e.s ou empêché.e.s. Il y avait les lectures de leurs textes par des acteurs et actrices belges et une exposition d’œuvres, qui sont arrivées cachées sous des fausses œuvres, recouverte par de grandes toiles. Sans ça, elles n’auraient pas pu passer la douane. L’idée était de montrer ces œuvres et de faire entendre ces textes qui ne pouvaient pas exister, n’étaient pas autorisées en Iran. C’étaient des œuvres qui contenaient des critiques, implicites pour contourner la censure, mais bien réelles, du régime en place. C’est une position acrobatique et très particulière que doivent trouver ces auteur.ice.s, et pour nous c’était déjà un acte de soutien à leurs voix, leurs mots.

Après ça, on a mis en scène plusieurs spectacles : De mémoire de papillon sur la question de la décolonisation et les rapports entre la Belgique et le Congo, puis Exils 1914, qui racontait trois récits de migrations durant la première guerre mondiale qui entraient en résonance avec les exodes et migrations contemporaines. Dans Pourquoi Jessica a-t-elle quitté Brandon ? , on questionne l’armement militaire, le développement numérique, les nouveaux médias, les lanceur.euse.s d’alerte.

Souvent, dans nos projets, il y a des liens entre la petite histoire et la grande Histoire. On suit une trajectoire individuelle, on s'attache à quelqu'un, mais ce récit est relié à son contexte historique et politique et il dit quelque chose de celui-ci. Ce sont toujours des spectacles qui sont assez documentés, pour lesquels on enquête sur le terrain, on mène des entretiens, des interviews. Et ce qui est important, c’est que ce sont chaque fois des écritures inédites. On n’a jamais mis en scène un auteur ou une autrice publié précédemment, ce sont toujours des textes d’auteur.ice.s qui font partie de la compagnie. C’est un travail de longue haleine, qui prend du temps, qui a besoin d’infuser. On revendique cette nécessité d’un temps long, et c’est un des points de départ de notre réflexion sur nos conditions d’écriture, de création et de production.

Un pays sans rivière est une proposition qu’on a créée pour le Festival XS au Théâtre National et qui porte notamment sur la question de la transmission. Ça ne devait pas l’être initialement, mais entre temps, on était devenus parents, et ça avait coloré en partie notre travail, nos réflexions, nos façons de créer. À ce moment-là, on était confinés, sans crèche, sans école, et tout cela s’est infiltré dans cette création.

Dès le départ, la visibilité des nouvelles écritures a fait partie de l’ADN de la compagnie, et dans la construction de nos créations théâtrales, on s’est constamment posé la question des processus de recherche à inventer et réinventer. Au sein de la Cie, on n’a pas suivi la même formation, on sort d’écoles différentes – beaucoup de collectifs sortent de la même classe, ont déjà un bagage et un langage commun. Nous, on devait trouver nos processus, les inventer à chaque fois. On occupait des fonctions différentes au sein des productions : comédiens, metteuse en scène, assistant, etc. On a eu envie de réfléchir à ces fonctions et de faire les choses de manière plus horizontale. On s’est aussi interrogés sur notre rapport au public et sur nos méthodologies dans l’écriture : allers-retours entre documentation, entretiens, écriture solitaire, écriture de plateau…

À la base, cette recherche de méthode, de processus nous était nécessaire pour construire nos spectacles. Très rapidement, on a eu envie de partager ça avec d’autres, d’échanger, de mettre en commun les outils, de questionner ensemble les façons de faire. L’idée c’était aussi un peu de se demander comment faisaient les autres, un peu comme des espions industriels mais en ayant comme perspective de sortir d’un système concurrentiel, d’inventer ensemble d’autres dynamiques.

 

Vous avez donc commencé assez tôt à réfléchir à ce que vous appelez ‘l’écosystème créatif’ en mettant en place divers projets qui permettent de soutenir les auteur.ices et artistes dans des étapes de travail habituellement peu visibles, solitaires et très peu soutenues. Lectures publiques, mais aussi laboratoires de recherche et résidences d’écriture : comment avez-vous mis en place ces différents pôles ? Comment cette réflexion et ces projets ont-ils évolué ?

Une partie des dispositifs est née à des moments compliqués, des moments de blocage, où il fallait réagir pour se sortir de situations indésirables ou pour contourner des contraintes. Par exemple, au moment du confinement, tout était à l’arrêt, toutes les dates étaient annulées, chacun.e devait rester dans sa bulle. On était dans un état d’hébétude, cadenassé.e.s de partout. Notre projet « Rêverie commune » est né de ça : on s’est dit qu’on devait trouver quelque chose qui puisse fonctionner quelles que soient les conditions sanitaires, qui tisse du lien et qui fasse sens. On a contacté toutes les communes de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour leur proposer ce projet qui met en lien des auteur.ice.s et des habitant.e.s. De magnifiques textes sont nés de ces échanges.

 

La résidence d’écriture de Virecourt est née d’une envie de se mettre en contact avec des auteurs et autrices francophones venant d’autres pays. On a donc rassemblé cinq auteur.ice.s issu.e.s de la francophonie pour des résidences d’écriture. Chaque fois, ce sont des dispositifs qui émergent de nos propres conditions de travail, de vie, de société. On questionne aussi beaucoup ce qui est hors du plateau, les conditions de production mais aussi les cadres structurels dans lesquels elles ont cours. Quand on est devenus parents notamment, ces questions des cadres de création et de production et de leur inadéquation avec la vie de parent sont devenues brûlantes, et à nouveau c’est de la contrainte qu’est née la nouveauté : les résidences enfants admis. On a imaginé rassembler six auteur.ice.s, chacun.e accompagné.e de son enfant en bas âge, dans une grande maison à la campagne pendant une semaine. Tout le monde dort sur place et la charge domestique et mentale est réduite à néant puisque les repas sont livrés par un traiteur. La journée, les auteur.ice.s écrivent et les enfants sont gardés par deux puéricultrices dans une sorte de crèche temporaire, dans la maison voisine.

On travaille dans un esprit qui mêle joyeuse créativité et revendication : l’horizon semble coupé, mais on va créer du possible ! On le fait pour nous, en réponse à notre situation, à nos blocages, et puis ça bénéficie aux autres. On avance avec l’adage « pense le monde et agis en ton lieu » : ce qu’on peut faire, ici et maintenant, on le fait. On est une petite compagnie, sans contrat-programme : on a été chaque fois soutenus par des partenaires qui s’enthousiasmaient pour les projets proposés : La Chaufferie Acte 1, la SACD, la FWB, le Bamp, La Bellone, la Maison poème, la ministre de la culture…

Une question qu’on se pose dans le cadre de la résidence enfants admis, c’est : pourquoi d’autres n’ont pas fait ça jusqu’ici ? Ca ne coûte pas si cher, ce n’est pas si compliqué à mettre en place, ça semble répondre à un réel besoin des auteur.ice.s, mais ça n’existait pas jusqu’à présent. Ca nous amène à réfléchir à ceci : on parle effectivement d’un écosystème créatif, mais celui-ci prend racine dans le cadre d’une écologie culturelle. Il ne s’agit pas seulement de la création théâtrale, mais de tout l’environnement auquel elle est reliée. Ça nous intéresse de dézoomer et de questionner tout ça sous un angle un peu plus global aussi : quel est l’impact social de nos projets ? quel est notre rapport à l’environnement ? pourquoi les créations se passent principalement en milieu urbain ? On souhaite agir et continuer aussi à penser, en lien avec d’autres mouvements et interrogations actuelles, en considérant également les personnes minorisées, mal représentées, peu visibles.

L’enjeu est aussi pour nous de garder notre casquette d’artiste, de ne pas complètement se transformer en organisateur.ice.s de résidences ou de journées de réflexions : on veut secouer ces questions-là, faire évoluer les points de vue, faire jaillir des idées dont d’autres puissent se saisir, les institutions subsidiées notamment.

 

En septembre 2022, vous avez organisé une journée de réflexion sur une problématique encore trop peu souvent questionnée : la conciliation entre parentalité et métier d’artiste. Lors de cette journée, qui mêlait interventions de chercheuses, témoignages, lectures de textes et tables rondes d’intelligence collective, plein de pistes d’amélioration des conditions de travail pour les parents artistes ont été évoquées. Quelles sont-elles ?

On a la sensation que cette journée, tout comme la résidence enfants admis, arrivent à un moment où nous ne sommes pas les seuls à nous poser ces questions, où d’autres artistes, chercheur.euse.s, journalistes sont traversés par des préoccupations liées à la place de la parentalité dans la société, à la conciliation entre parentalité et monde du travail, et pas uniquement dans le secteur qui est le nôtre.

Hettie Judah, par exemple, a publié des recommandations très précises, pragmatiques, logiques à destination des institutions pour aller vers une plus grande inclusion des artistes parents. Elle préconise de changer de paradigme en partant de la réalité des contraintes pour adapter le travail en fonction de celles-ci : il faut arrêter de partir du principe que les personnes qu’on emploie sont des hommes blancs disponibles à plein temps et suffisamment rémunérés.

Pour les directeur.ice.s de théâtre qui nous liraient, quelques-unes des recommandations qui ont surgi de cette journée de réflexion sur la conciliation entre parentalité et métiers artistiques : ne pas faire de demandes en dernière minute à des artistes parents, ne pas placer de réunions importantes à des horaires difficiles, proposer plusieurs créneaux-horaires pour les évènements, organiser des gardes d’enfants, aménager les espaces pour qu’ils soient enfants admis, poser aux parents la question de leurs besoins dans un cadre dédié. Ne pas interpréter un trou dans un CV comme un manque d’engagement, mais valoriser la période de la grossesse, de la petite enfance à sa juste valeur créative. Augmenter l’âge pour postuler à certaines résidences, appels à projets, prix…

 

© Cie MAPS

Il y a aussi le fait que la parentalité est considérée le plus souvent comme une responsabilité individuelle, et donc les parents fabriquent eux-mêmes des solutions à leur échelle pour tout combiner, mais il s’agit en fait d’une question à laquelle pourraient être proposées des réponses collectives…

Bien sûr, le fait de répondre collectivement à des besoins liés aux parentalités est d’ailleurs avantageux pour tous.tes, y compris les institutions. Il faut aussi comprendre que si un parent se rend entièrement disponible, entièrement malléable pour un projet, c’est que derrière, il y a quelqu’un qui gère à sa place la charge parentale. Cette charge, elle est impondérable. La question systémique à se poser c’est : sur quelle(s) personne(s) repose-t-elle, comment et pourquoi ?

 

Si vous deviez faire un vœu pour la compagnie MAPS, quel serait-il ?

Si on devait faire un seul vœu, précis, aujourd’hui, ce serait d’être artistes associés à un lieu.

Avoir le soutien pérenne d’une institution à la fois pour nos créations et pour nos projets de soutien aux auteur.ice.s nous permettrait d’avoir un ancrage ainsi que des conditions de travail plus favorables : on pourrait passer plus de temps à créer et moins de temps à chercher des budgets et des lieux d’accueil.

 

 

Quelle est votre plus grande fierté ?

On pense tous les deux spontanément à « Un pays sans rivière » qu’on a créé pour le Festival XS. On a vraiment eu le sentiment d’être au bon endroit, de faire la bonne chose, avec les bonnes personnes, de la bonne manière. Il y avait quelque chose de très juste dans l’acte théâtral qu’on a posé ces soirs-là. On était en lien : entre nous et avec le public. 

 

Si vous deviez évoquer un souvenir, quel serait-il ?

Durant une des résidences enfants admis, une autrice est arrivée avec son enfant dans une situation assez tendue, on s’est demandés au début comment ça allait se passer… Et on les a vus peu à peu se déposer, tous les deux, trouver chacun leur espace, retrouver un équilibre, respirer ensemble à nouveau. C’était beau d’assister à ça. 

 

Et maintenant, quels sont les projets en cours et à venir ?

Maintenant, on attend qu’un.e directeur.ice de théâtre lise cet article et nous propose d’être artistes associé.e.s ! 

Plus sérieusement : on lance un nouveau projet pilote de résidence enfants admis en contexte urbain, à Bruxelles. Ce sera un peu différent : les auteur.ice.s ne seront plus logé.e.s sur place, mais recevront une bourse et seront accompagné.e.s par des partenaires choisis pour les aider à développer leur projet et lui donner un maximum de chances d’aboutir.

Parallèlement, on continue nos projets en cours. « Fils de Bâtard », écrit et mis en scène par Emmanuel De Candido, sera créé au Théâtre de Poche en février 2024. Olivier Lenel écrit un projet autour des invisibles et Stéphanie Mangez travaille sur un projet autour de la figure de Serena Williams.

Propos recueillies par Juliette Mogenet

Pour aller plus loin

Découvrez toutes les activités de la Cie MAPS sur leur site.

Consultez la fiche auteur Bela d'Emmanuel de Candido.

Consultez la fiche autrice Bela de Stéphanie Mangez.

Voir l'ensemble du palmarès des prix SACD 2022.

© Cie MAPS

Coup de projecteur sur la Compagnie MAPS, Prix Jumelles d'or SACD 2022 !

Portée par trois artistes créateur·trices, Stéphanie Mangez, Emmanuel De Candido et Olivier Lenel, la Compagnie MAPS est un collectif de création fondé en 2012, résolument porté sur les questions de société, le théâtre documentaire et les nouvelles écritures. Leur compagnie a conçu un écosystème créatif, un dispositif de résidences inclusives permettant l’expérimentation, la recherche fondamentale, l’accompagnement et la promotion d’artistes et notamment d’auteurs et d’autrices.