Coup de projecteur sur les lauréates du Prix SACD Série 2022 pour "Pandore" !
© C. Van caillie (affiche) ; E. Laurent (photographe)
Savina Dellicour, Anne Coesens et Vania Leturcq, autrices de la série Pandore, "le thriller judiciaire qui a dynamité l’image des séries belges", sont les heureuses lauréates du Prix SACD Série 2022 ! Dans cette arène politico-judiciaire, on y plonge sans pouvoir s'extraire, "parce qu’il y a un vrai suspense. Parce que c’est super-bien tricoté, réalisé, joué. Parce que les personnages sont fascinants dans leurs doutes, leurs mensonges, leurs zones d’ombre". Découvrez sans plus attendre l'éloge de Jean-Luc Goossens à ces trois autrices et l'entretien réalisé par Stanislas Ide.
L'éloge du Comité belge
Pour être honnête, je m’étais juré de ne plus me laisser avoir par une série. J’étais bien décidé à lutter contre ce type d’addiction. Alors, quand j’ai vu l’annonce de cette nouvelle série belge qui pour une fois, ne se déroulait pas dans les Ardennes, et n’était pas signée par une équipe masculine, je me suis dit que j’allais zapper dessus cinq minutes, juste par curiosité… et ce qui devait arriver arriva : scotché aux deux premiers épisodes, migrant aussitôt sur Auvio pour en connaître la suite ! Parce qu’il y avait un vrai suspense. Parce que c’était super-bien tricoté, réalisé, joué. Parce que les personnages étaient fascinants dans leurs doutes, leurs mensonges, leurs zones d’ombre ! Je sais combien c’est difficile de construire une série, de maintenir la tension en croisant les intrigues et de continuer à surprendre. Pour vous, c’était une première, et l’on aurait juré que vous aviez fait ça toute votre vie. Alors oui, vous m’avez eu. Et j’étais loin d’être le seul, l’audience a explosé. Quand je vous croise dans les couloirs de la MEDAA, où vous nous concoctez la saison 2, j’ai déjà peur. De me laisser avoir à nouveau ? Non, promis ! Cette fois, on ne m’y reprendra pas ! Mais comment ne pas ouvrir la boite de Pandore ?
Jean-Luc Goossens, Président du Comité belge de la SACD
Le trio vertueux de ‘Pandore’ : un entretien de Stanislas Ide
« Chaque femme de la série ouvre une boîte à sa façon » ! Il en va de même pour Anne Coesens, Savina Dellicour et Vania Leturcq, les autrices de ‘Pandore’, le thriller judiciaire qui a dynamité l’image des séries belges. En pleine préparation de la seconde saison, le trio revient sur l’essence de leur collaboration : l’envie de voir une femme en colère au centre d’un divertissement de qualité.
Comment votre trio s'est-il réuni autour de 'Pandore' ?
Vania Leturcq : Savina et moi avions été réunies par Artemis Productions pour réaliser un projet de série qui ne s’est finalement pas fait. Mais on s’était bien entendues et le producteur nous avait proposé de revenir vers eux si on avait un projet à leur soumettre. Puis, à l'occasion d'un repas, Anne m'a dit en avoir marre de jouer des rôles de femmes tristes et vouloir jouer un personnage en colère. C'est là que l'idée d’écrire à trois a surgi.
Anne Coessens : C'était tellement plaisant de se lancer sans pression, sans savoir où nous allions. Personne ne nous attendait en fait.
Vania : Et personne n'a guidé personne dans le trio. 'Pandore', c'est la somme de nos trois talents.
Savina Dellicour : C'est ça ! Aucune de nous n’aurait écrit cette série toute seule.
La série se déroule dans les arènes judiciaire et politique. Un choix évident ?
Vania : On n’avait pas spécialement envie de parler de justice ou de politique. Notre volonté, c'était de parler de la place des femmes. On s'est demandé quels étaient les milieux dans lesquels on pourrait montrer que non, être une femme ici et aujourd'hui, ce n'est pas la même chose qu'être un homme. Qu'il n'y a pas les mêmes droits, ni les mêmes traitements. Derrière ça, il avait la question de la violence sexiste et sexuelle bien entendu.
Savina : Puis, Anne est arrivée avec un personnage de juge en tête, inspiré du roman L'intérêt de l'enfant de Ian McEwan. Ce qui l'avait frappée, c'est la responsabilité très forte venant avec un tel métier. Comment avoir l'esprit suffisamment dégagé pour prendre des décisions avec un impact énorme sur la vie des autres ou sur la société entière ? On s'est aussi dit que cette juge aurait besoin d'un grand antagoniste.
Anne : Un Joker pour le Batman !
Savina : C'est quand même eux qui font les meilleures histoires. On l'a imaginé du côté politique, ce qui permettait un grand clash entre les deux personnages.
Comment Marc Van Dyck, joué par Yoann Blanc, est-il devenu si opportuniste et manipulateur ?
Savina : Disons qu’on était un peu fâchées en commençant le boulot !
Vania : À l'époque, Marine Lepen venait d'annoncer qu'elle était féministe et qu'elle voulait faciliter le retour des femmes à la maison pour s'occuper de leurs enfants. On était clouées de voir l'extrême droite récupérer le féminisme d’une façon si paternaliste.
Anne : Elle et d’autres figures commençaient à utiliser le discours féministe pour y glisser des idées nauséabondes. En osant revendiquer une place de sauveur en plus, alors qu’on est capables de se défendre toutes seules.
Vania : Cela dit, les premiers épisodes présentent aussi Marc comme une victime du patriarcat. Son parti comme sa famille lui renvoient l'idée qu'il n'est pas assez sexy, sympathique ou branché.
Savina : Il n'a rien d'un mec alpha. Et sans les opportunités qui sont offertes à ces hommes, Marc décide de se les attribuer lâchement. Au départ, ce n'est que ça. Mais il s'y perd totalement. Et trouve une jouissance dans le statut de meneur qu'il finit par obtenir.
Comment avez-vous abordé le développement de Ludivine, jouée par Salomé Richard, et qui casse les stéréotypes associés aux personnages de victime ?
Vania : Salomé nous a beaucoup challengées. Elle est montée à bord assez vite et nous a directement demandé qui était Ludivine en dehors de son statut de victime, ce qui nous a poussées à la voir au-delà de sa dimension sacrificielle. La question de la 'bonne victime' nous a vraiment occupées. Cette image tenace d’une petite chose souriante et reconnaissante, alors qu'elle devrait juste être effondrée par ce qu'elle a vécu. Point barre.
Comment avez-vous dosé l’équilibre entre réalisme et divertissement ?
Anne : On savait ce qu'on ne voulait pas faire. On ne voulait pas d'un whodunnit dans lequel on soupçonne quelqu'un de différent à chaque épisode, avant une grande surprise finale. On trouvait cette mécanique un peu décevante et ça nous a donné envie de tout montrer dès le début, pour voir comment les personnages dénouent leurs dilemmes.
La série joue avec l'idée de sortie de cadre pour obtenir un changement. Est-ce le message défendu ?
Vania : C'est en tout cas une question qu'on se pose intimement ! Et que beaucoup de monde se pose de plus en plus en fait. Que faire quand les instituions ne suffisent pas ? On s’est énormément renseignées sur le sujet et ça va sûrement rejaillir dans la deuxième saison.
Écrire une série était une première pour vous trois. Est-ce une plus grande entreprise qu’un long-métrage ?
Anne : Oui !
Savina : Mais en même temps, une fois qu'on trouve la mécanique et qu'on l'intègre, c’est comme si un moteur tournait.
Vania : Il y a une structure, c'est vrai. On a par exemple écrit chaque épisode en cinq actes de dix minutes. Suivre cette règle presque mathématique nous a aidées à appréhender la montagne des dix épisodes.
Anne : On a aussi bénéficié de l’aide d’un super script doctor, le scénariste Willem Wallyn (le créateur de séries comme 'De Zestien' ou '1985', ndlr). Lui nous a vraiment aidées à discerner ce qui importait dans nos premiers jets. Il nous donnait même des petites tâches après chaque lecture. Il saucissonnait le travail en fait. Ça nous a permis d'avancer avec moins d'inquiétude.
Comment expliquez-vous cette si belle adhésion du public avec 'Pandore' ?
Savina : J’ai eu des retours de personnes vivant en Angleterre, qui étaient emballées par le fait qu'on ne sait jamais où ça va aller. Ils trouvaient notre écriture très organique, sans qu'on passe à côté des effets de divertissement. Je pense que ça vient du fait qu'on a tout de même passé quatre ans à écrire, ajoutant des couches et tricotant des liens au fur et à mesure. Alors qu'en Angleterre, on écrit un bon pilote et lance la production sur ce feu vert, sans avoir bouclé l’intrigue dans sa totalité.
D'où vient le titre 'Pandore' ?
Vania : On avait du mal à en trouver un. Un jour, on s'est lancées des mots dans un jeu d'impro, et quand le mot 'Pandore' a été prononcé, ça a collé !
Anne : On s'est rendu compte que chaque femme de l'histoire ouvrait une boîte à sa façon.
Propos recueillis par Stanislas Ide
Pour aller plus loin
Découvrez le parcours d'Anne Coesens.
Consultez la fiche Bela de Vania Leturcq.
Retrouvez Savina et Vania sur Instagram.
Retrouvez l'ensemble du palmarès des Prix SACD 2022.
© Gaël Maleux
Après des études aux conservatoires de Bruxelles et de Paris, Anne Coesens commence par travailler au théâtre, notamment avec Philippe Adrien et Éric Vignier, avant de se tourner vers le cinéma. Elle a tourné avec Olivier Masset-Depasse, Lucas Belvaux, Fred Cavayé, Audrey Estrougo, Chantal Akerman et bien d’autres.
© Antoine Doyen
Après des études à l’IAD, Savina part faire un master en Angleterre à la NFTS. Son film de fin d'études, Ready, est nominé pour un Student Oscar. Savina réalise ensuite dix épisodes de Hollyoaks pour Channel4. Son long métrage Tous les chats sont gris la ramène en Belgique. Le film obtient plusieurs prix dont le Magritte du Meilleur premier film. Elle vient par ailleurs de réaliser deux épisodes de la série anglaise Who is Erin Carter pour Leftbank et Netflix.
©Fabrice Mertens
Née en 1983, Vania Leturcq a suivi une licence en réalisation cinéma à l'IAD de 2001 à 2004. À sa sortie de l'école, elle a réalisé deux documentaires, Eautre en 2004 et Deuilleuses en 2007, ainsi que trois courts métrages de fiction, L. en 2006, L'Été en 2009 et La Maison en 2011. Son premier long métrage, L'Année prochaine, est sorti en 2015.