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Tonnerre d'applaudissements pour Camille Freychet, Prix Radio 2023 pour Ouvrir la brèche !

vendredi 17 mai 2024

Camille Freychet est l'heureuse lauréate du Prix SACD Radio 2023 avec "Ouvrir la brèche", « un document aussi intime que politique » dans lequel « les dialogues ne s’y déroulent pas qu’entre les personnages, mais entre le réel, les sons, les mots, les paroles familiales enregistrées, la pensée intime de la narratrice et les faits historiques feuilletés dans les pages jaunies d’un journal né le même jour qu’elle ». Découvrez sans plus attendre ce "road-movie sonore" à travers une interview de l'autrice et l'éloge écrite par le Comité belge pour elle.

L'éloge du Comité belge

Dans le cinéma, les frontières entre fiction et documentaire sont nettement définies. Dans le monde de la radio, c’est bien plus flou. Et c’est une grande richesse.

Ouvrir la brèche de Camille Freychet est un brillant exemple de la porosité des genres dans la création sonore. Les dialogues ne s’y déroulent pas qu’entre les personnages, mais entre le réel, les sons, les mots, les paroles familiales enregistrées, la pensée intime de la narratrice et les faits historiques feuilletés dans les pages jaunies d’un journal né le même jour qu’elle.

Lorsqu’on l’écoute, à aucun moment on ne sait savoir si ce qu’on entend est du réel ou bien sa reconstitution virtuose en studio. Et s’il s’agit d’une «auto-fiction» revendiquée, c’est bien plus parce que de nombreuses scènes de ce road-movie sonore se passent en voiture ou en camion. Mais pas d’égo-trip, ni de narcissisme, l’autrice ne nous présente pas un miroir tourné vers elle-même, mais plutôt vers ses proches et leurs histoires.

Les proches de Camille deviennent les nôtres grâce à sa générosité. Ses propres pensées deviennent aussi nos pensées, grâce à la finesse de son écriture et à son intelligence accueillante et partageuse.

Une collaboration entre Camille Freychet à la plume et la voix et Gildas Bouchaud aux manettes sonores. Avec la complicité de Saoussen Tatah, dramaturge, Jana Winderen, compositrice, Franck Laisné, comédien et l’ACSR, studio de création sonore.

 

David Chazam, membre du Comité belge de la SACD


Camille Freychet. Le son, en corps

 

© CheeefecGuetta

Elle est à l'avance à notre rendez-vous. Un signe peut-être de ce qu'elle est en avance sur le Temps, sur les temps. Elle, c'est Camille Freychet, comédienne, accessoiriste, réalisatrice, arrière-petite-fille de résistant.e.s, addict à l'auto-stop, passionnée de rencontres et créatrice de contenus de vies, dont son premier podcast, « Ouvrir la brèche »*, lauréat du Prix Radio SACD 2023. Entretien incarné.

« Comment on met une création sonore sur un plateau de théâtre ? » C'est par cette question que débute l'échange que nous avons avec Camille Freychet. Elle qui a gagné ce Prix Radio SACD, pour sa première création radiophonique s'interroge. Elle s'interroge sur le comment mettre du corps dans le son et la voix, et aller au-delà de l'apparence pour toucher l'essence de la vie. « Je viens de la technique. Dans le théâtre, il y a pas mal d'égo. Alors que pour la créa radio, je pouvais y aller les bras levés », ajoute-t-elle encore.

Camille a fait des études de cinéma docu et fiction à la Sorbonne. « Mais j'ai toujours été manuelle ». Elle a donc travaillé comme accessoiriste de cinéma et de théâtre avant de poursuivre une formation d'acteur.ice à l'ESACT (Liège). Camille vient de Grenoble, a grandi en région parisienne entre paysages et autoroutes. À Paris, c'est « près de Poissy, à la fin de la ligne du RER. » C'est important, les fins de ligne, ça place le comment on voit les choses. « J'ai jamais été organisée, j'étais toujours en retard, enchaîne-t-elle. Plutôt dernière en classe, aussi. Les institutions, c'est pas mon truc. » Mais l'intuition, oui.

Alors, elle cherche des moyens d'arriver à l'heure. Le stop en fait partie, dès ses 13 ans. « Des trajets quotidiens, puis des trajets plus longs. » Une façon de toucher aux limites, dans le mouvement, se faire surprendre par la réalité des échanges. Jusqu'à se mettre en danger. Parce que le stop, ce sont de belles et de moins belles rencontres, comme on le comprend dans les infimes silences qui jalonnent notre entretien. Et comme on l'entend, dans « Ouvrir la brèche ». Des violences et des douceurs. Dans ce premier podcast, il y a une part d'improvisation, de capture de dialogues avec l'enregisteur Zoom qu'elle emporte toujours quand elle part en stop, mais aussi de moments scénarisés, avec Saoussen Tatah, ingénieuse du son, l'arrière du véhicule, et Carla au volant, rencontre déterminante et pilier du docu-fiction dont elle souligne qu'il est une aventure collective. « Je voulais faire se rencontrer, d'une certaine façon, ces personnes que je croisais, et qui avaient des vies hallucinantes, fascinantes. Je voulais dézoner les parcours. En échangeant avec tous.tes ces personnes de milieux socio-culturels très différents, je devenais une antenne mobile. Il y a eu des tas de gens différents, mais surtout beaucoup d'histoires qui me touchaient. »

Et ouvraient sa vie de silence, elle, l'enfant de famille de protestants où le mutisme était la norme.

Alors pour elle, se retrouver dans un habitacle fermé, avec une ou plusieurs personnes, yeux rivés vers la ligne de route et discours en roue libre, c'est une découverte.  « On regarde tous.tes la route, vers le même endroit ; ça force à parler vrai. On est comme dans un tunnel. Dans ce mode de dialogue, on arrive à des discussions étonnantes, des choses qu'on ne livre qu'à ce moment-là. Le jeu, c'est que si la ou les conducteur.ice.s se racontent, moi aussi. Certaines personnes m'ont confié m'avoir dit des choses qu'elles n'avaient jamais dites à leurs proches ».

Vision et sons

Au départ, ce projet se voulait documentaire visuel. « L’image est très importante pour moi. Au début, c’est Nathaniel.le Hendrickson qui me filmait dans cette aventure. Puis, à cause de la pandémie, ça a été trop compliqué de filmer de voiture en voiture dans des habitacles fermés, aucune production ne voulait me suivre. Alors, j’ai imaginé et transposé ces images, en son. j’ai découvert les possibilités infinies de la matière sonore. »  D'où la scénarisation de certains passages, ndlr. « Il y a eu dans ces voyages des discussions fortes, politiques, philosophiques, psychologiques. » Et Camille de parler encore de Carla, figure essentielle d'« Ouvrir la Brèche », voix qui ouvre et ferme cette auto-fiction collective. Carla, une géologue que Camille a rencontrée à un moment où elle devait faire le point avec elle-même. « Pour Carla : les montagnes sont les cicatrices de la Terre. Elles ont été créées dans une violence inouïe, les feux, les tremblements et pourtant maintenant, elles sont belles, apaisées. Ça apprend que les cicatrices, ça peut être beau. Carla, elle vient des Abruzzes en Italie, elle vit à Liège, elle aime le café et rouler vite. On rigole beaucoup. » On rencontre donc Carla, son accent italien, son amour de la vie et sa philosophie du chemin dans « Ouvrir la brèche ». Entre autres. 

 

© Carla

Sentir et vivre et résister

Puis, au-delà de ces voyages en stop, différents à ses 13, 23, 33 ans, il y a quelque chose que Camille ne dévoilera en toute franchise qu'après une heure de discussion. Un des socles pourtant de cet « Ouvrir la brèche ».  Ses arrières-grands-parents résistant.e.s, les combats, les armes cachées dans les caves de Roquefort, le voyage de Léon – l'arrière-grand-père – dans le train de la mort, le dernier train à aller à Bunchenwald. De son outing à elle, qui libère.  « Il n'y a pas de petites résistances. C’est la phrase qu’on m’a transmise quand j'étais petite. C’est celle qui est restée. Elle vient de Léon, qui, lorsqu’il s’est fait arrêter, torturer, déporter à Buchenwald, résistait au nazisme en sabotant les machines et en balayant le camp à cinq centimètres du sol. » Pas de petites résistances, une phrase qui la percute sans doute le jour de ses 30 ans, quand elle ouvre « Le Monde » du jour de sa naissance, que lui a offert son père, le 19 décembre 1989. À sa venue au monde, peu après la chute du mur de Berlin. Pas de petites résistances, un combat à mener encore et toujours dans un monde qui a peu changé, depuis la résistance de ses aïeux, et depuis le jour de sa naissance. Un monde de pires en répétitions. « Le journal parlait, de la même façon qu’aujourd’hui, de la montée de l’extrême droite au pouvoir, j'avais beaucoup de colère. J’en ai toujours autant ». Alors tout s'articule. Les trajets à tutoyer les limites, les personnes qu'on croise et qui sont comme elle engagées, les arrières-grands-parents résistant.e.s, les époques qui se fracturent. Alors, elle décide de mettre ça en sons. En sons de lumières et de cris et de choses qui doivent être dites. Au final, « Ouvrir la brèche » est un document aussi intime que politique. C’est peut-être le début d'autre chose. La fin d'un monde. Car Camille, en interrogeant sa famille, son histoire, ses rencontres, interroge le passé que nous avons. Nous ancre dans le présent. Et projette un futur à construire. Absolument. Et en résistance.


Propos recueillis par Isabelle Plumhans


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© Carla

Tonnerre d'applaudissements pour Camille Freychet, Prix Radio 2023 pour Ouvrir la brèche !
Actrice, autrice et accessoiriste, Camille Freychet grandit en région parisienne, entre les champs et l’autoroute. Elle puise son inspiration dans le cinéma, les mouvements de la nature, la mobylette et la pratique de l’auto-stop. En 2022, lauréate du FACR, elle réalise la création sonore Ouvrir la brèche, une autofiction collective et documentaire. En juillet 2023, Camille écrit et performe son premier texte dramatique Y’a brûler et cramer au Festival Off d’Avignon à la GardenParty du Théâtre des Doms.