Rencontre avec les scénaristes d’Ennemi public #2
La Maison des Auteurs accueille l’équipe des scénaristes de la série à succès Ennemi public travaille dans ses locaux. Nous en avons profité pour les questionner sur leur pratique, la spécificité de l’écriture de série, leurs besoins... Deuxième épisode de cette série d’entretiens sur l’écriture en collectif, après un point sur la genèse de leur projet. Et toujours garanti 100% sans spoiler !
« Une loi darwinienne des idées »
Chaque série a sa popote interne. À la base, nous sommes quatre créateurs, et Frédéric Castadot nous a rejoint ensuite. On avait cette idée de faire un projet à quatre, où chacun aurait une place aussi importante dans la hiérarchie, mais on s’est rendu compte à un moment qu’il fallait tout de même que quelqu’un prenne le lead, en tout cas au niveau de la vision de la série.
Chacun a sa vision de la série, on essaye de se rapprocher le plus de la vision commune et de mettre tout le monde d’accord, mais il fallait parfois que quelqu’un tranche. Le choix de Mathieu (Frances) s’est alors imposé, car il est une vraie locomotive qui semblait tenir le projet. On se met tous au service de cette même vision de la série.
Lors de l’écriture de la première saison, on était sur un pied de totale égalité en termes de travail. On travaillait dans un appartement où on lançait des idées. Il y a comme une loi darwinienne des idées, c’est-à-dire que c’est celle qui est la plus apte à survivre qui arrive finalement à l’écran.
À chaque fois qu’une nouvelle idée arrive, elle doit d’abord générer l’enthousiasme de tout le monde et si c’est le cas on la met à l’épreuve du feu, on la teste avec tous les personnages pour voir s’ils sont capables d’être cette idée, de mener à cette idée. On voit si elle n’est pas trop farfelue, si elle peut se déployer, tenir la distance.
« Une guerre constante entre les personnages et l’intrigue »
En gros, on se donne 12 mois pour écrire les 10 épisodes de 50 minutes. Il nous faut trouver une méthode de travail pour que ça aille vite et trouver les meilleures idées. Nous, notre méthode c’est de parler pendant 10 mois et d’écrire pendant 2 mois.
Si tu regardes autour de toi, tu vois qu’il y a sur un mur deux tableaux avec des notes sur les personnages, des fiches cartonnées qui reprennent la structure en 4 actes de la saison disposés sur la table, et des post-it sur le mur d’en face qui détaillent la structure de chaque épisode de la saison.
Dans un premier temps on parle des personnages, de ce qu’on aimerait bien leur faire faire sur la saison. C’est la période la plus créative : on se laisse aller sans être retenu par le boulet de la narration, on fantasme librement sur ce qu’on voudrait pour les personnages : c’est très libéré, les personnages vont où ils veulent, au gré de nos envies.
Après cette phase, on recherche la thématique de cette saison, le concept, le problème principal qu’on va traiter. Il faut un déclencheur, c’est-à-dire un élément qui fasse qu’il y aura une histoire principale, un fil tissé sur la saison. À partir de ce moment-là les personnages doivent se plier à cet élément déclencheur. Commence alors le travail de l’arche : on voit comment ces personnages qu’on a fantasmés peuvent faire ce trajet, à partir de ce déclencheur… Et là c’est une guerre constante entre les personnages et l’intrigue.
Ensuite, on se demande comment distribuer cette matière sur 10 épisodes, jusqu’à déterminer une structure complète de saison, puis enfin on construit la structure de chaque épisode.
Tant qu’on n’écrit pas, qu’on n’est pas dans l’écriture à proprement parler, on est dans du brainstorming et de la discussion, mais fatalement on arrive au stade où on doit régler les problèmes qui nous restent. Une fois qu’on a réfléchi, on reprend tous les éléments qu’on met dans une structure en 4 actes.
Là, tout peut encore changer : on sait juste à quoi on va arriver mais on va créer un épisode, une vraie histoire comme un petit film qui a son début, son milieu, sa fin, et ce pour chaque personnage. Avec ces fiches couleur qu’on dispose sur la table, on voit tout de suite s’il y a un équilibre, s’il n’y a pas un peu de trop de Chloé ici, s’il ne faudrait pas un peu plus de Patrick par là, etc.…
« Ça, on le construit tous ensemble »
La raison pour laquelle Fred Castadot est arrivé dans la saison1 c’est qu’on avait 10 épisodes à écrire et qu’on a réalisé que si on voulait être rapides, il fallait qu’on se partage le travail. Malgré tout on considère qu’on a écrit la série tous ensemble. Chacun écrit en détails deux épisodes, mais le contenu de ces épisodes est le résultat de nos discussions continuelles. Ça, on le construit tous ensemble.
Une fois que la structure est déterminée collectivement, chacun prend deux épisodes pour lesquels il écrit un séquencier – pas encore de dialogues mais une description de chaque scène –, et on regarde ensemble si l’épisode est bien structuré, si ça marche.
Pour aller plus loin
Relisez le premier épisode, sur la genèse du projet, et découvrez ce quelles sont les influences de ces auteurs, en vidéo sur Bela !
À suivre : le rapport au public…