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Hommage à Catherine Simon

jeudi 24 août 2017

Catherine Simon, grande figure du théâtre jeune public nous a quittés en ce début août 2017. Elle avait écrit un superbe texte sur son métier et sa vie dans le théâtre jeune public lors de son départ du Centre culturel Jacques Franck.

Frédéric Young, délégué de la SACD, Ariane Buhbinder, membre du Comité belge de la SACD et Cali Kroonen, directrice du Théâtre de la Montagne Magique ont écrit chacun un texte en hommage à Catherine Simon.

 

Je suis née dans un milieu de petite bourgeoisie de province, avec des parents enseignants tous les deux et qui faisaient du théâtre (en amateur). Le théâtre a fait partie de ma vie dès ma naissance. Par la suite, j'ai notamment organisé un cabaret littéraire au pensionnat, ou créé des spectacles avec des copains pour les Jeunesses poétiques... Par contre, quand j'ai dit vouloir faire du théâtre pour toujours, mes parents ont accueilli la nouvelle avec moins d'enthousiasme. D'abord régente en français-histoire-latin, j'ai ensuite obtenu une licence en histoire de l’art et archéologie à l'ULB, plus l'agrégation. Durant ces études, j'ai passé beaucoup de temps dans les cours de Claude Etienne ou au Jeune Théâtre de l’ULB. Je suis ensuite devenue prof à Saint Ghislain pendant 7 ans et demi. J'ai rencontré Jean-Claude De Bemels. Pendant que j'enseignais, il faisait des études de scénographie à La Cambre.

Par la suite, il y a eu la rencontre avec Herbert Roland du Théâtre de la Vie qui m'a fait découvrir la Cartoucherie de Vincennes et Ariane Mnouchkine. Il m'a proposé de rentrer comme comédienne au Théâtre de la Vie. J'ai quitté l'enseignement. J'avais déjà travaillé 6 mois au Théâtre Poème en sortant de l'université, comme comédienne et aussi comme régisseuse. A partir de là, j'ai fait tous les métiers de théâtre, ou presque.
J’ai fait énormément de stages de jeu, de costumes... En tant que programmatrice, ça aide de connaître toutes les facettes de la représentation théâtrale.
Par exemple, j’ai adoré être comédienne et faire de la mise en scène. J'ai aimé le jeu aussi. Comédienne, je me suis rendu compte que je n'arriverais jamais à la cheville d'autres comédiens malgré tout le travail que je pourrais fournir. Après deux ou trois bonnes gifles, j'ai compris. Des années plus tard, j'ai également compris que j'avais voulu être comédienne pour répondre au rêve de ma mère d'être elle-même comédienne. J'ai rempli sa frustration... Ma mère a été très importante pour moi, c'est grâce à elle que j'ai commencé à dévorer de la littérature et du théâtre. Elle ne cessait de lire et d’apprendre.
Aujourd’hui, j’aime toujours faire la mise en lecture de textes, travailler avec des comédiens à l'analyse du texte...
Tout ceci me donne un parcours atypique et concret, avec des moments où j’ai posé des choix.
Le jour où j'ai quitté l'enseignement, le jour où j'ai quitté la Guimbarde, et le jour où j'ai quitté la CTEJ furent des moments charnières. Quitter l'enseignement, c'était faire le choix de l'inconfort et de l'insécurité car je laissais tomber un contrat à durée indéterminée. Quand j'ai quitté la Guimbarde, j'ai fait un patchwork de métiers et d'activités. A chaque rupture, je me suis retrouvée libre. Même si celles-ci ont été difficiles à vivre. J'ai découvert qu'il y avait toujours quelque chose de positif dans ce que j'avais fait. Peu à peu, j'ai appris à éliminer tout ce qui m'embêtait pour arriver à ce que je voulais uniquement. Quitter la CTEJ fut aussi bénéfique. Ma présence à la CTEJ représente 15 années de bénévolat lourd. J'avais un côté « mère supérieure » qui me faisait croire que je pourrais toujours tout arranger. Alors que la solution était de partir. Je m'occupais tellement de la CTEJ que je ne m'étais même pas rendu compte que la CTEJ était devenue moi. Ou le contraire.
A chaque rupture, il y a eu une énorme amertume, un énorme chagrin, que j'ai laissé décanter. A chaque fois, il fut essentiel d'une part de retrouver ce que je voulais faire, moi, Catherine Simon, et d'autre part, de retrouver ma liberté de prise de parole. En fait, il faut toute une vie pour enfin arriver à soi, être clair vis-à-vis de soi-même. Quand j'ai le cerveau embrouillé par trop de soucis, je fais mes « petits paquets »... Je scinde en petits paquets chacun de mes soucis. Aujourd'hui, en quittant le CCJF, je dois à nouveau faire ces petits paquets : un petit paquet « accepter de vieillir » pour lequel je ne peux rien faire car la vieillesse est inéluctable, un autre petit paquet « quitter ce plateau du CCJF si beau... », « quitter le bonheur de programmer », un autre encore : « ce que je peux transmettre et dans quel cadre », pour lequel je peux travailler concrètement. Il faut du temps et de la patience... et la confiance en soi, qu'on ne te donne pas à la naissance.

J’ai découvert le théâtre jeune public à ses tout débuts. En 1974, Jean-Claude est entré au Théâtre des Jeunes de la Ville de Bruxelles. J'ai suivi une aventure où je sentais que quelque chose de nouveau était en train de naître. En étant attentif, on pouvait se rendre compte que quelque chose de nouveau se créait là et pas dans le théâtre adulte. Ce fut la naissance d'un réel « théâtre jeune public ».
J'ai toujours été quelqu'un qui n'aimait pas la « ronronnite », j'aime me battre. Prof, je ne suivais pas le programme quand je ne le jugeais pas adapté au terrain. Les inspecteurs m'ont toujours respectée parce que je n'abdiquais pas. Dans le jeune public, il y avait une bagarre à mener pour faire comprendre que quelque chose se passait. Par exemple, à la Guimbarde, je me souviens d'avoir animé une journée pédagogique avec des enseignants. Un prof s'est levé et a demandé : à quoi sert le théâtre ? J'étais estomaquée. Je n'ai pas su répondre. Pour moi qui était née dedans, le théâtre c'était... comme avoir de beaux vêtements, un coucher de soleil, partir à la mer, la neige, un jardin, les feuilles mortes, manger le dimanche un beau gâteau, fêter un anniversaire... : un petit bonheur.

Aujourd’hui, je répondrais que le théâtre fait partie de toutes les créations humaines. La différence entre l'homme et l'animal réside dans le fait que l'animal ne sait pas qu'il va mourir. Il ne peut donc rien inventer, il ne peut que fonctionner. L'homme sait qu'il va mourir, il sait que tout passe, il peut jouir de tas de choses, dont la création artistique. Pour ma part, je vais à l'opéra, au festival d'Avignon pour voir ce que l'homme peut inventer de plus magnifique et de plus fou.
Si je fais de la sensibilisation au théâtre et à la danse, c'est parce que l'école reste le seul lieu où tous les enfants vont, où ils peuvent tous avoir accès à tout. C'est là qu'on peut tout leur apporter. Sur mille enfants, quelques-uns se diront « émus », « touchés », « étonnés », c'est pour ceux-là que je fais ce que je fais. Dans la marée de données du monde actuel, le théâtre jeune public doit retrouver cette essence : proximité, convivialité, émotion, urgence, sens.

Catherine Simon 

 

Le décès inattendu de Catherine Simon, force-femme

Un sourire féroce, que contredisait le geste affectueux, Catherine appelait au contact, à la discussion, au travail, à la réflexion, au plaisir d’être ensemble pour faire advenir des choses belles et importantes… comme le théâtre.
J’ignore pourquoi elle avait fait de tous les arts pour l’enfance et la jeunesse son (principal) sujet, son (premier) terrain, son (rayonnant) destin, mais elle a eu raison. Elle a sauvé la présence de l’art dans bien des écoles, ou pour bien des enfants, et bien des publics de parents et de professionnels… alors que l’administration de l’école belge francophone l’abandonnait (trop souvent) aux cours de flûtes à bec et de papiers trempés pour fête des mères.
Catherine contestait la SACD, avec une telle conviction qu’elle en fut la conseillère pour l’enfance et la jeunesse pendant de très nombreuses années.
Elle avait la passion des écritures et des histoires fortes, et se souciait des auteurs dont elle connaissait la précarité. Elle défendait vigoureusement les collectifs d’écriture, insérés souvent dans les compagnies.
Sa détermination, la qualité de ses réflexions et propositions, la profondeur de sa connaissance du secteur l’ont amenée à assumer des fonctions essentielles à la CTEJ ou à la Commission spécialisée de la FWB. Catherine incarnait son combat, son combat l’incarnait en retour.
Lisez son beau texte que nous joignons ici, avec les hommages d’Ariane Buhbinder (membre du Comité belge de la SACD, Compagnie « L’Anneau théâtre » et de Cali Kroonen (Directrice du Théâtre de la Montagne magique) prononcés lors d’une émouvante réunion à multiple voix tenue à Huy dimanche dernier.
Catherine est tombée subitement, comme un grand arbre.
Ce qu’elle a créé vit tout autour et demain, force des choses bien faites et inscrites dans le temps.

Frédéric Young

 

Catherine

Tu étais fervente d’histoires, d’écritures, de textes, et de livres…
Tu as multiplié les initiatives pour soutenir et encourager tout ce qui pouvait en permettre l’émergence, comme notamment les lectures publiques ou encore les ateliers d’écriture, …
Que ce soit au sein de la CTEJ ou de l’asbl Quoi d’Autre, ou bien encore au Centre Culturel Jacques Franck ou au sein de l’Institut International du Théâtre ou ailleurs.
Comment naissent les histoires ?
Comment on les raconte... ?
Tu cultivais cette interrogation et une curiosité permanentes à l’écoute de tout ce qui pouvait renouveler la forme dramatique.
Et que ce soit avec un public de jeunes spectateurs ou avec tes propres petits-enfants, tu avais cette manière bien à toi de susciter le silence, l’attention à l’histoire et…l’aspiration à y plonger !

Ariane Buhbinder, lu lors de la cérémonie d'hommage aux Rencontres du théâtre jeune public de Huy 

 

Catherine

Tes yeux se plissent, tes dents se serrent, tes pensées vont tuer. Ton regard brille, tes joues sont relâchées, ton rire éclate. Ta tête est droite, le menton serré, tu as quelque chose à dire. Tes doigts parlent, petits bruits de bouche, tu cherches. Tu es brutale, tu as peur d’avoir été vulgaire. Tu as des rancœurs, tu les appelles parfois déceptions. Tu ne lâches pas, rien, jamais, tu répètes calmement et précisément pour expliquer. Tu mets des points d’interrogation par dizaine et encore plus de points d’exclamation. Tu vois ce que personne n’a vu, tu dis ce que personne ne dit. Et puis il y a toute cette douceur, cet amour insensé des fragilités, tes secrets et cette conviction : la transmission n’existe que si elle va dans les deux sens.

Cali Kroonen, lu lors de la cérémonie d'hommage aux Rencontres du théâtre jeune public de Huy