Focus sur Jawad Rhalib, Prix SACD x Scam 2020
« Un cadrage engagé, une écriture de fiction rattrapée par sa passion documentaire » : quelques mots pour commencer à décrire le travail de Jawad Rhalib, qui a reçu le Prix SACD x Scam 2020. Découvrez à cette occasion sa bio, mais aussi l'éloge écrit pour lui par Antoine Neufmars et un portrait.
Les lauréats
Jawad Rhalib est connu pour son cinéma social et engagé. Son style réaliste s’axe sur une observation et une dénonciation sans concession des tares et des ravages politiques, économiques et religieux sur nos sociétés. Parmi ses œuvres militantes : des fictions comme 7, rue de
la folie, Boomerang, Insoumise… et des longs-métrages documentaires comme El Ejido, la loi du profit, Les Damnés de la Mer, Au temps où les Arabes dansaient, Fadma, même les fourmis ont des ailes et The Pink Revolution.
À lire, à voir
. www.rrprods.eu
. https://bela.be/auteur/jawad-rhalib
L'éloge de Antoine Neufmars
Tout comme le destin de Ghizlane, l’héroïne des Damnés de la Mer, qui grâce à l’impact du film et à un soutien inattendu du Prince Albert II de Monaco, a obtenu son permis de pêche, une première historique pour une femme au Maroc. Je me dois de tirer le signal d’alarme ; j’ai souvent l’impression de crier dans le vide, mais je n’ai rien à perdre. Je déteste quand les gens ferment les yeux; j’ai encore quelques comptes à régler avec la société.
Un cadrage engagé, une écriture de fiction rattrapée par sa passion documentaire; il serait trop simpliste de ranger sous des mots-clés son regard, ces deux billes noires qui scannent le moindre détail, et qui ne se plisseront pas, tant que des dérives persisteront: école, religion, rue, lutte des femmes, et prochainement, violences lgbtqia+. Au temps où les Arabes dansaient est mon œuvre qui me définit le mieux, c’est tout mon être que j’offre ici. Et dans cette œuvre, l’actrice Hiam Abbas partage une phrase de son enfance: Annassou sawassiya: On est tous égaux. Comme une voix intérieure qui nous guiderait dans ce parcours de créations très personnelles.
Jawad Rhalib, L’homme qui filmait les opprimé·es
Cinéaste multiprimé, auteur de 7 courts-métrages et 14 longs-métrages documentaires et de fiction, Jawad Rhalib s’inscrit dans la veine du réalisme social en interrogeant inlassablement la liberté dans tous les sens du terme.
D’abord documentariste, Jawad Rhalib a baladé sa caméra partout dans le monde, des gigantesques serres d’El Ejido (Almeria), en Espagne, où sont exploité·es les immigré·es marocain·es, aux montagnes de l’Atlas où il a montré comment une femme seule, Fadma, parvenait à faire changer les mentalités sexistes. Ce qui m’anime, ce sont les interdictions et les menaces à l’encontre des minorités, quelles qu’elles soient. Si on remonte le temps, on retrouve l’homme en Bolivie, au Vietnam, à Madagascar… toujours pour dénoncer l’injustice, le profit, la mondialisation. Le documentaire, c’est le cinéma du réel. On est là comme observateur. Je travaille avec une petite équipe, sur la mise en situation, je prends le temps de rencontrer les gens hors caméra et d’échanger avec eux : c’est un contrat moral. Ils sont conscients de notre présence mais, avec le temps, ils oublient la caméra. Depuis quelques années, Rhalib est revenu à la fiction en conservant son style documentaire : le travail de mise en confiance des acteurs est le même, l’ambiance et l’improvisation aussi. Je fais de la fiction quand c’est compliqué de traiter le sujet par le documentaire, et vice versa, mais les personnages de mes films de fiction, je les ai rencontrés dans la vraie vie, comme Laila dans Insoumise. Il y a toujours un lien entre mes films de fiction et mes docus. Ils se rejoignent sur le fond. Ainsi, en réalisant Au temps où les Arabes dansaient, le cinéaste et son équipe ont rencontré des milliers d’élèves du nord de Bruxelles, ce qui a conforté Jawad Rhalib dans l’idée qu’il se faisait de l’éducation en Belgique au sein des communautés arabo-musulmanes – radicalisation, incompréhension, musique et danse perçues par les jeunes comme des activités illicites… C’est de là qu’est née ma prochaine fiction autour de l’école, avec le personnage d’une prof qui va changer les choses. Personne n’écoute quand on parle du danger. On se sent seul. Les politiques et les associations n’osent pas parler de ce qui est trop délicat, ne pas faire de vagues, ne pas provoquer le débat. Qu’une enfant porte le voile, c’est pourtant un recul pour la démocratie et la lutte.
Poursuivre la lutte
Né et élevé au Maroc, Jawad Rhalib se souvient d’un temps plus ouvert et plus laïque : Quand j’étais jeune, mon pays n’était pas comme ça. Le roi Hassan II chassait les islamistes. Quand je suis arrivé en Belgique, j’ai été surpris de voir ces tenues afghanes, ces burqas, les noms des boucheries en arabe, des gens qui circulent librement en portant des croix. C’est hallucinant, ce communautarisme. Pourquoi ces gens, qui ont la chance d’avoir accès à la culture et à l’éducation, n’en profitent-ils pas ? Pourquoi laissent-ils leurs enfants traîner dans la rue ? C’est de la non-assistance à enfants en danger ! Il faut le dénoncer ! Ce long-métrage sur l’éducation traitera de l’infiltration de l’islamisme à l’école : Il est temps de tirer la sonnette d’alarme. Beaucoup de gens ne veulent pas voir la montée de l’islamo-fascisme parce qu’ils ont envie de croire que ça ne peut pas se passer ici. Pourtant, quand on va de Saint-Gilles à Molenbeek, on change de monde en 5 minutes. On se retrouve dans des zones de 'non droit. Des gens témoignent en disant qu’ils n’osent pas sortir de chez eux. Cette réalité, Jawad Rhalib l’a vécue en tournant son dernier documentaire, The Pink Revolution, qui traite de la communauté homosexuelle : J’ai filmé des personnages qui n’ont tout simplement pas le droit d’exister dans certains quartiers. Mais je voulais éviter le focus sur la communauté arabo-musulmane en prenant des personnes homosexuelles de cultures et d’origines différentes. Dans le film, on suit le cheminement de 4 personnages à travers leur réflexion sur leur place dans l’espace public : Ils n’ont que deux rues du centre de Bruxelles où ils peuvent être eux-mêmes ; dès qu’ils en sortent, ils sont agressés. D’origine algérienne, Yasmine voulait s’imposer dans des quartiers à forte communauté marocaine, et le film montre comment ça se passe pour elle… Cette fois encore, le cinéaste a essuyé les incompréhensions sectaires : On nous classe sans cesse dans des cases. On me demande pourquoi moi, homme hétéro, je parle des gays ? Il n’y aurait que les Juifs pour parler des Juifs, les Arabes pour parler des Arabes ? Alors que chacun·e peut apporter un autre regard sur la question ? Si je traite du monde musulman, je possède une légitimité parce que je suis issu de la bonne communauté, et pourtant, moi aussi on me traite de raciste et d’islamophobe ! Cette lutte contre le communautarisme, Jawad Rhalib ne cesse de la revendiquer : Qu’on soit marocain, turc ou suédois, on est d’abord un cinéaste avec sa sensibilité. Chacun traite des sujets qui le touchent, apporte son point de vue. En ce qui me concerne, je revendique l’influence du cinéma belge, unique dans le monde, à laquelle j’essaie d’apporter ma touche personnelle et mes influences.
Nul n’est prophète en son pays
Ce qui importe à ses yeux c’est de porter le travail et d’en parler. Faire bouger les lignes et changer les choses. Nos films doivent servir à ça. On a changé beaucoup de choses en Bolivie, à l’époque, avec Au nom de la coca : ça a permis à Evo Morales de sortir d’une forêt tropicale où il était encerclé par les Américains avant de devenir président. Pareil avec El Ejido en Espagne : C’était un sujet caché, le film a montré que ces gens ont des droits et ça a changé des choses dans la région. Avec Les Damnés de la mer aussi. Meneur déterminé et chef d’orchestre charismatique, Jawad Rhalib s’insurge aussi contre le manque de reconnaissance de la Belgique envers ses propres artistes : À l’étranger on est très bien reçus, le documentaire belge est apprécié et connu mondialement, on reçoit des prix. En Belgique francophone par contre, quand on est invité dans un festival ou aux Magritte, on travaille gratuitement : les droits de projection et de déplacement ne sont pas payés, on vous fait comprendre que c’est un honneur d’être diffusé, mais que voilà, c’est gratuit ! Pour moi, c’est tout simplement du vol ! Les artistes doivent bouger et boycotter cette façon de faire. Qu’on impose aux festivals de rétribuer les auteurs, avec des barèmes à respecter. En Flandre, c’est tout à fait différent, les cinéastes sont mis en avant. Une reconnaissance qu’on lui souhaite croissante grâce à ce prix, le deuxième qu’il reçoit en Belgique…
Pour aller plus loin
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