Emprunter les chemins du Tarot avec Nolwenn Guiziou
Les 12 et 13 novembre dernier, la SACD, en partenariat avec le Bureau Europe Créative de la Fédération Wallonie-Bruxelles, invitait ses membres à un atelier d’exploration créative autour du Tarot, animé par Nolwenn Guiziou, scénariste, consultante en écriture et réalisatrice de films expérimentaux en stéréoscopie 3D, passée par le théâtre et l’art de rue. Entre introspection et création collective, cet outil s’est révélé une ressource inattendue pour enrichir ses pratiques artistiques. Dans cet entretien, Nolwenn Guiziou revient sur son parcours et son approche, alliant imaginaire, transmission et respect des cartes.
Comment le Tarot s’est-il glissé dans votre pratique artistique et professionnelle ? Est-ce un outil qui vous accompagne depuis toujours ou est-il venu plus tard ?
Nolwenn Guiziou : Ce n’est pas un compagnon d’enfance, mais une rencontre étroitement liée à mon chemin artistique. J’ai toujours été fascinée par l’art médiéval et ses images. Une reproduction de la carte zéro, le Mat, était présente chez moi enfant et résonnait avec cette figure du vagabond (peinture de Jerôme Bosch), toujours en mouvement. Ce qui m’attirait, c’était l’idée que les images racontaient des histoires que les mots seuls ne pouvaient exprimer. Plus tard, en m’appropriant cette intuition, j’ai commencé à utiliser le Tarot pour créer des images et des dialogues avec mes influences, du médiéval à Aubrey Vincent Beardsley (auteur d’un Tarot et connu aussi pour ses illustrations des pièces d’Oscar Wilde), en passant par les Comix Books américains.
Quand j’avais 20 ans, une étudiante m’a un jour lu le Tarot dans un bar à Séville. C’était maladroit, mais cela révélait une envie profonde de croire à autre chose, de se connecter au mystère. En ajoutant de l’humour et de la créativité, j’ai commencé à utiliser le Tarot avec mes amis et dans mon travail. Cela m’a conduit à créer des Tarots inspirés de mes spectacles et à réaliser que ce n’était pas une blague, mais une pratique artistique légitime, un moyen de se connecter aux autres et de raconter des histoires.
Vous décrivez le Tarot comme une « machine à générer des questions » plutôt qu’un outil explicatif. Que voulez-vous dire par là ?
Nolwenn Guiziou : Ce qui est presque subversif avec le Tarot, c’est qu’il n’y a jamais une seule interprétation. Tout le monde apporte un bagage différent et voit quelque chose de nouveau. Une carte peut être réinterprétée encore et encore, comme une grande œuvre littéraire qui vit à travers ses traductions successives. Dans un atelier, quelqu’un peut voir la Tour de Babel dans une carte, tandis qu’une autre remarquera un détail inattendu, comme les lignes dans l’eau autour de l’écrevisse de la carte de la Lune qui lui rappellent des empreintes digitales et, par association d’idées, les contrôles d’identité dans un aéroport. Et chacun pourra s’inspirer des références de l’autre. C’est une expérience d’altérité.
Pour moi, une lecture de Tarot est une conversation. Nous jouons un rôle de miroir pour celui ou celle qui tire la carte, en l’aidant à exprimer ce qu’il ou elle voit et ressent. C’est un outil puissant pour explorer des histoires, que ce soit dans la création ou dans la réflexion sur nos projets.
Atelier du 12 novembre pour les membres SACD. Photo: Morgane Batoz-Herges
Comment et pourquoi utiliser le Tarot dans un projet créatif ?
Nolwenn Guiziou : Je distingue trois phases principales.
- Explorer, se promener dans le monde d’un projet : Le Tarot, surtout en groupe, est idéal pour lancer des idées. Les cartes deviennent des points de départ concrets : une figure ou un détail peut inspirer des personnages, des lieux ou des émotions. Par exemple, tirer l’Impératrice peut déclencher une réflexion sur le regard de votre héroïne ou l’animal qu’elle pourrait avoir chez elle.
- Retomber amoureux du projet : Lorsque l’on travaille sur une version avancée d’un scénario, le Tarot aide à retrouver cette étincelle initiale, à reconnecter avec la flamme qui a motivé la création. Il permet une introspection pour dépasser les doutes et relancer la dynamique.
- Raconter, partager: Enfin, le Tarot devient un outil de mise en scène et de présentation. Tirez quelques cartes et racontez une histoire: cela muscle notre capacité à improviser, à énoncer clairement nos idées et à les partager avec passion.
Chaque phase est adaptée à l’état d’avancement du projet et au contexte des participants.
Atelier du 12 novembre pour les membres SACD. Photo: Morgane Batoz-Herges
Vous évoquez le Tarot comme une école d’humilité. Comment cela se manifeste-t-il dans vos ateliers ?
Nolwenn Guiziou : Le Tarot invite à laisser de l’espace pour le récepteur. Dans une lecture, ce que l’autre voit est souvent très différent de ce que vous percevez. Cela nous rappelle que l’artiste ne contrôle pas tout. Créer, c’est offrir suffisamment pour éveiller l’imagination, sans tout figer.
C’est aussi poser des questions fondamentales : que souhaitons-nous faire ressentir au public ? Comment préparons-nous son émotion, et comment le laissons-nous à la fin ? Le Tarot aide à poser ces questions concrètement, en explorant le rôle des images comme invitations plutôt que comme vérité absolue.
Une carte semble particulièrement vous parler : celle du Bateleur. Pourquoi ?
Nolwenn Guiziou : Le Bateleur, pour moi, est une boussole. Il incarne l’humilité et la magie du travail artistique. Avec ses simples objets sur la table, il invite les autres à s’arrêter et à entrer dans son univers. Ce n’est pas pour de vrai, mais si vous acceptez de jouer, il peut vous donner une étincelle de sagesse.
Cette carte me rappelle que notre rôle en tant qu’artistes est de transmettre, pas de nous complaire dans une aura mystique. Nous sommes des passeurs, et c’est ce qui donne du sens à ce que nous faisons.
La carte du Bateleur réinterprétée par Nolwenn Guiziou
Pour conclure, quelles ressources recommandez-vous à celles et ceux qui souhaitent découvrir le Tarot ou à l’utiliser dans leur pratique artistique ?
Nolwenn Guiziou : Je conseille le Tarot de Marseille restauré par Jodorowsky et Camoin : ses couleurs vibrantes sont joyeuses et inspirantes. Mais avant de lire des livres ou d’écouter des podcasts, prenez le temps de rencontrer les cartes par vous-même. Observez-les, posez-vous des questions : que ressentez-vous ? Que voyez-vous dans les images ? Faites confiance à votre intuition.
Ensuite, explorez des ouvrages comme La Voie du Tarot de Jodorowsky, ou des ressources en ligne comme le podcast “Tarot Talks”. Mais n’oubliez jamais que chaque rencontre avec le Tarot est unique et infinie, comme un dialogue constant avec soi et les autres.
Entretien mené par Morgane Batoz-Herges, responsable du développement européen de la MEDAA
