À la rencontre de la nouvelle présidente du comité belge de la SACD : Céline Beigbeder partage sa vision
À la présidence du Comité belge de la SACD, un nouveau visage émerge : Céline Beigbeder. Cette nouvelle présidente incarne une vision audacieuse et engagée pour l’avenir des auteur·ice·s. Forte d'une carrière riche et diversifiée, elle poursuit la défense des droits des travailleur·euses des arts face à des défis contemporains. Son mandat s’annonce comme une période cruciale pour réaffirmer la place des artistes dans la société, tout en jonglant entre innovation culturelle et protection de leurs droits fondamentaux. Découvrez sans plus attendre son interview, où elle nous révèle ses objectifs pour le comité belge de la SACD ainsi que ses aspirations pour construire un avenir prometteur pour les auteurs et autrices.
Céline Beigbeder, nouvellement élue à la présidence du Comité SACD Belgique, place la défense des conditions de travail des auteur·ice·s au cœur de son action. Alors que le statut des travailleur·euses des arts a subi des récentes modifications, elle souligne l’urgence de préserver une protection sociale pour les artistes. L’orientation politique actuelle, qui privilégie le mécénat au détriment des services publics, menace non seulement les droits des créateur·ice·s, mais aussi l’ensemble des industries culturelles. Pour Céline, il est impératif d’unir les forces des différentes fédérations et syndicats afin de constituer un front solide face aux défis à venir.
De plus, elle s'engage à mettre en lumière les problématiques des auteur·e·s en situation de handicap, un sujet qui lui tient à cœur. En collaboration avec la SCAM, elle souhaite mener des initiatives concrètes visant à améliorer les conditions de rémunération et à garantir que la défense des droits des plus vulnérables profite à l’ensemble de la communauté artistique. Sa présidence, à la fois déterminée et empathique, promet de faire entendre la voix des créateur·ice·s dans toutes ses dimensions.
Quels sont vos objectifs et vos combats principaux pour votre mandat ?
Bien sûr la défense des conditions de travail des auteur.ices est un combat prioritaire. De façon préoccupante, le « statut » des travailleur.euses des arts (WITA) récemment modifié s’est vu menacé de disparition totale cet été. La Déclaration de Politique Communautaire pour la Fédération Wallonie-Bruxelles montre une orientation allant vers la sortie des artistes de la protection sociale, et les négociations fédérales ont failli aller dans ce sens. (L’heure est au mécénat et au statut d’indépendant pour les artistes plus qu’à la protection sociale et aux services publics). C’est donc de très près que nous sommes passé.es à côté d’une catastrophe pour les artistes qui aurait mis à mal le secteur des industries culturelles et créatives dont les travailleur.euses des arts sont le moteur. La défense de nos droits en tant que travailleur.euses des arts m’est donc cruciale. Ce combat doit être mené avec les autres fédérations et les syndicats, capables de mener un front commun en ordre de bataille pour la législature. En espérant que les différents niveaux de pouvoir travailleront à défendre la puissance de la culture et par là de tous ses travailleur.euses. Il en va d’une nécessité absolue.
Par ailleurs, je suis très investie dans l’amélioration des conditions de rémunération et de droits d’auteur.ices des artistes en situation de « handicap ». Nous avons ouvert un chantier commun à la SCAM et la SACD sur ce sujet et j’entends mener ce combat jusqu’à son aboutissement. La défense des droits des personnes les plus précaires bénéficie en réalité à toux.tes.
Qu'est-ce qui vous a poussée à vous présenter à la présidence de la SACD ?
Pour répondre à la question et pour la bonne compréhension des lecteur.ices, je précise tout d’abord quel est mon mandat au sein de la SACD car peu de personnes en connaissent le fonctionnement. Je suis présidente du comité belge. Ce comité est un équivalent d’un « conseil d’administration » pour la délégation de la société en Belgique, puisque la SACD est une société internationale dont le siège est en France. Le comité que je préside est uniquement constitué d’auteur.ices qui représentent la quasi entièreté des répertoires couverts, à savoir : audiovisuel (cinéma, cinéma d’animation, télévision, web, sonore etc.), spectacle vivant (théâtre jeune public et adulte, théâtre amateur, humour, danse, chorégraphie, arts de rue, etc.), et auteur.ices de l’écrit. Et pour les lecteur.ices également : le comité est ouvert à toux.tes. Les prochaines élections se dérouleront lors de l’AG annuelle au printemps. Bienvenu.e.x !
Maintenant pour répondre à la question, plusieurs motivations ont été les miennes. Tout d’abord, je souhaitais - dans le respect du règlement d’ordre intérieur - que le comité puisse alterner les répertoires à sa présidence. Jean-Luc Goossens, ancien président, venait de l’audio-visuel, il était important que le spectacle vivant puisse être maintenant représenté. Luc Jabon et David Chazam assurent la vice-présidence respectivement en audio-visuel et radio.
D’autre part, je souhaitais visibiliser les problématiques liées à la prise en charge des artistes en situation de « handicap » dont je parlais à la question précédente. Ma compagnie travaillais déjà sur ces questions et la présidence du comité était le meilleur moyen de fédérer des acteur.ices du secteur pour s’en saisir collectivement. Le chantier ouvert avec le comité belge de la SCAM, présidé par Isabelle Rey, promet d’être passionnant. Je m’en réjouis.
Selon vous, qu'est-ce que signifie être président·e de la SACD ?
C’est une place très intéressante car elle suppose de faire dialoguer des personnes dont les points de vue divergent souvent. Et de trouver un terrain d’entente qui ne soit pas « mou » ou « désengagé » mais, au contraire, constructif et solide. C’est réussir à faire bouger des lignes, à faire entrevoir d’autres façons de percevoir, à se laisser modifier aussi. Si ma vision du secteur est aiguisée et forte, je souhaite qu’elle laisse également place à celle de chaque membre du comité et de chaque travailleur.euse de l’équipe permanente. La présidence m’intéresse pour cela. Pour avoir la possibilité de rendre légitime chacun.e, pour créer le cadre du dialogue, pour circonscrire des limites aussi larges que possible de l’horizontalité. Parce que je travaille, dans ma vie professionnelle comme privée, à ce que l’intérêt collectif prime sur l’intérêt individuel ou personnel. Parce qu’il est pour moi crucial de tendre vers cela. Au-delà de toute qualité altruiste, il s’agit de créer les conditions de travail sereines et épanouissantes pour tou.xtes dans le but d’aider au processus de défense des auteur.ices et de diffusion de leur travail.
La fonction de présidente me semble contenir en elle la possibilité de prendre soin des singularités de chacun.e des membres, de donner une place et une parole équitable à chacun.e, quelles que soient leurs fonctions, leurs situations, ou leurs problématiques personnelles. C’est une façon pour que les esthétiques de chacun.e, les façons d’être au monde et aux Arts, soient représentées. Mon souhait est qu’une forme n’en écrase pas une autre mais entre en dialogue avec elle, qu’un savoir ne se fasse pas dominant, et que les uns et les unes s’enrichissent mutuellement. Je souhaite que chacun.e puisse se sentir invité.e et bienvenu.e, légitime d’entrer au comité belge de la Sacd.
Un autre des enjeux de la présidence est de tenter d’apaiser les tensions soulevées par les questions intersectionnelles, qui sont aussi un conflit de génération. Au sein du comité le mot « conflit » n’est d’ailleurs pas juste, le comité est simplement « au travail ». Pour moi, il s’agit d’offrir le cadre, bienveillant, pour que les codes sociaux, les savoirs, la parfaite maîtrise du langage laissent place aux sensibilités, aux questions, aux doutes, et, au respect. Si elle me permet d’articuler les points de vues, j’aime cette place : faire co-exister différentes façons d’éprouver et d’être au monde, pour construire un tout. Mon mandat se termine à la fin de la saison 24-25, cela va très vite, surtout quand il s’agit de s’emparer de ces questions. Les prochaines élections du comité seront peut-être le reflet de la réussite de mon travail ou non. J’espère que s’y présenteront plus de femmes, des personnes non-binaires, transgenres, ou en transition, plus de personnes de différentes ascendances (pour reprendre le terme légal), des personnes en situation de « handicap » sensori-moteur ou intellectuel. (Il est à noter que les comités se déroulent à la Maison des Auteurs et des Autrices qui est accessible aux personnes à mobilité réduite.) Si c’est le cas, j’aurais fait ma part du travail. Car c’est en faisant remonter les différentes expertises de l’intérieur du comité que celle ou celui qui endosse le rôle de présidence est ainsi beaucoup plus à même de représenter la Sacd à l’extérieur : auprès des institutions décisionnaires, en chambres de concertation etc.
Quelles actions envisagez-vous pour renforcer le soutien aux auteur·e·s au cours de votre mandat ?
De façon générale, les actions concrètes découlent directement des désirs exprimés en comité et des groupes de travail internes qui y font suite. Les actions peuvent répondre à des problèmes de fond qui nécessitent la mise en place de stratégies sur le long terme, comme répondre à des points d’actualité qui exigent une réaction à vif. Il s’agit bien sûr souvent de tenter d’améliorer des situations problématiques, que ce soit : au niveau de l’action culturelle en offrant tout un catalogue de bourses et d’évènements, au niveau des formations proposées aux membres, à des niveaux plus politiques en portant des revendications à l’extérieur (auprès des chambres de concertation, des instances décisionnaires, des partenaires financiers ou collaborateur.ices etc.) ou encore par des combats juridiques. Sur ce dernier exemple, une actualité importante concerne la Cour constitutionnelle belge qui a adressé treize questions préjudicielles à la Cour de Justice de l’Union Européenne en matière de rémunération des auteurs et autrices et qui, par ailleurs, a été saisie par Netflix d’un recours contre le décret SMA et ses modalités d’application en Fédération Wallonie-Bruxelles. (Pour rappel, ce décret vise à faire participer les opérateurs audiovisuels à la production selon une grille de taux d’investissement évolutive dans le temps et en fonction de leur chiffre d’affaire, avec un taux moyen de moins de 4% pour la période 2023-2027.) La direction et le service juridique de la Sacd sont actuellement au travail pour défendre les droits de ses membres dans ces deux procédures. Une double action très concrète donc pour défendre les acquis récents contre les attaques ciblées des majors mondiales (Gafan).
Un autre désir de soutien du comité qui a donné lieu à un groupe de travail est celui de la diffusion des artistes et des œuvres en Fédération Wallonie-Bruxelles. C’est un défi majeur pour les artistes mais également pour les (co)producteur.ices. C’est un problème transversal à tous les lieux du spectacle vivant - structures de création, d’accueil ou de diffusion -, aux domaines de l’audio-visuel, des lettres et du livre. Les auteur.ices ne sont pas assez diffusé.es quel que soit le secteur et le répertoire. Iels souffrent énormément de ne pas voir leurs travaux honorés à leur juste valeur et parfois de ne simplement pas avoir les moyens d’exercer leur métier. La situation est d’autant plus rude quand on la met en regard avec la réalité chiffrée de l’investissement financier du secteur : une large majorité de l’argent passe au « structurel » et non à « l’artistique ». C’est un des groupes de travail que nous sommes en train de mettre en place. Je souhaite que l’œuvre y soit envisagée au-delà de l’idée de « spectacle » ou « de film », au-delà d’un simple « produit de diffusion ». J’aimerais qu’il soit possible de réfléchir à la diffusion par le prisme de la démarche de l’artiste et non remplir « un catalogue Ikea de programmation » comme je l’ai récemment entendu dire une artiste en colère. Si la place d’une présidence n’est pas la colère, il est important de travailler à diminuer les souffrances des travailleur.euses des arts. C’est dans cette idée générale que j’entends mener mon mandat, en soutien aux artistes selon leurs besoins. (Depuis ma place d’artiste - metteure en scène, comédienne et autrice - je suis d’autant plus sensible aux besoins intrinsèques à la création que je les connais concrètement.)
Le cadre offert par la déclaration de politique communautaire pour la Fédération Wallonie-Bruxelles de ce mois de juillet, sera je l’espère un appui. Tout d’abord, du côté du spectacle vivant, la DPC prévoit que des mesures décrétales soient bientôt prises qui amèneront les centres culturels à « augmenter leurs capacités de diffusion des artistes de la FWB et de médiation culturelle ». Il en va d’une excellente nouvelle pour la diffusion des artistes en FWB mais également pour les publics. On peut espérer - en tout cas la DPC l’affirme - que les arts et la culture seront au coeur de la démocratie, que les activités « hors les murs » ainsi que « l’offre culturelle pour les aînées et les personnes en situation de handicap » seront soutenus « tant sur le plan de l’accès aux lieux que sur le plan de l’accès aux contenus et de l’accessibilité sensorielle ». Je m’en réjouis. Du côté de l’audio-visuel, la DPC a également inscrit son désir d’optimaliser la circulation des artistes et des oeuvres (par différentes propositions concrètes dont l’augmentation des quotas de diffusion d’artistes de la FWB sur les médias publics aux heures de grande écoute, en prévoyant un représentant du conseil supérieur de la culture dans l’organe de gestion de la RTBF, en valorisant les artistes de la FWB sur les plateformes numériques en ligne etc.). Le comité de la Sacd veillera à ce que les déclarations soient suivies d’actes.
Comment envisagez-vous la collaboration entre la SACD et les autres acteur·rice·s de l’industrie ?
Cela dépend de la nature de la collaboration ou du soutien. Concernant l’action culturelle, différents partenariats sont mis en place qui sont réévalués à chaque nouvelle demande. L’idée première étant de façon évidente et systématique le soutien aux auteur.ices, et selon la même logique qu’évoquée précédemment dans l’interview. Il va de soi que le soutien aux structures peut parfois être remis en question quand il ne profite plus pleinement aux membres, ou, inversement, pérennisé.
Par ailleurs, je crois que toute volonté de faire bouger une situation passe par la nécessité de fédérer des acteur.ices du secteur. L’institution réagit au groupe davantage qu’aux personnes isolées. J’évoquais dans votre première question la rémunération des artistes en situation de « handicap ». C’est une problématique à laquelle ma compagnie théâtrale - cie Néandertal - a été confrontée plusieurs fois. Les artistes touchant les allocations pour personnes en situation de « handicap », principalement fédérales, ne sont pas rémunéré.es sous le prétexte du risque de leur perte définitive. (Les artistes ne sont pas toujours très bien pris.es en considération, les personnes en situation de « handicap » encore moins, alors les artistes en situation de « handicap » sortent souvent des radars. Pourtant, comme je l’ai déjà dit, la défense des droits des personnes les plus précaires bénéficie en réalité à toux.tes.) C’est pourquoi je suis ravie que la SACD accepte d’accompagner cette action en soutenant l’initiative de ma compagnie qui a commandé une analyse juridique des conditions de maintien des allocations des personnes en situation de « handicap » dans le cadre d'un travail artistique professionnel. Et ce, avec toutes les nuances communautaires que cela implique. (Cette analyse a été effectuée par l'avocat et chercheur M° Germain Haumont.) Ma volonté est notamment de rendre public ce travail afin qu’il puisse bénéficier à tous les acteurs et actrices du secteur culturel. Et plus encore, de fédérer des acteur.ices du secteur des arts et de celui du « handicap » pour circonscrire la problématique, les nœuds soulevés par l’analyse et leurs résolutions potentielles. La SCAM se joint à nous pour ce chantier pour lequel nombre d’opérateur.ices du spectacle vivant, de l’audio-visuel et du « monde » du « handicap » ont manifesté leur intérêt et leur soutien (Théâtre national, Inclusion asbl …) C’est un exemple concret de la puissance de la collaboration avec différents acteur.ices des industries créatives et culturelles à laquelle je crois énormément.
Quels défis pensez-vous que la SACD doit relever dans les années à venir ?
Les défis sont multiples. J’ai déjà abordé les questions concrètes : de défense des conditions de rémunération des travailleur.euses des arts, de leur maintien dans le régime général de protection sociale, de la rémunération et des droits d’auteur.ices des personnes en situation de « handicap », la question de la diffusion etc. Il ne manque jamais de problèmes d’actualité malheureusement. De façon plus générale, dans une Europe où l’Histoire semble se rejouer, où l’extrême-droite remonte des égouts, les pratiques culturelles sont à protéger plus que jamais. Elles contrent - au-delà même des discours et par la simple existence de leurs pratiques horizontales - la xénophobie qui nous menace. Elles font partie d’un écosystème de résistance, présent à l’intérieur comme hors de l’institution, dans les universités, dans une grande partie du milieu associatif, etc. Être au service du comité de la SACD c’est se mettre au service de celleux qui pratiquent cette « institution » : les auteur.ices, écrivain.es, metteur.euses en scène, réalisateur.ices, etc. Ces artistes sont à même de défendre les « fables », ces récits qui contiennent en eux des perceptions alternatives multiples, rendant compte de la réalité du monde, riches de toutes ses singularités, culturelles, génétiques, physiques, intellectuelles, émotionnelles, économiques, familiales etc. Loin, très loin, d’un monde asséché et mondialisé qui laisse la part belle à la remontée des acides.
Défendre les auteur.ices, c’est aider à porter des fictions assumées et défendues comme telles. Et ce, dans une société de la fiction qui en refuse le terme, qui tente de faire croire à une réalité qui ne serait pas « fiction ». Or tout est fiction. J’entends par là que pour les créateur.ices - par exemple de formes théâtrales comme c’est mon cas - la conscience que le rapport à la réalité est un empilement de récits est constamment là. Nous créons des représentations de la réalité. Et ces représentations sont une réalité, même si elles ne sont pas du même ordre que la réalité des sens. L’exemple le plus actuel est celui de la fiction de l’I.A. en pleine expansion dans le monde entier et dans nos arts. (Et dont les effets sur certains métiers artistiques qui disparaissent, ou l’élaboration d’oeuvres synthétiques, sont très préoccupants, et sont également un vrai défi en terme de droits d’auteur.ices ! Notamment pour sa régulation à tous les niveaux de pouvoir, fédéral et européen.) Nombre de spécialistes, philosophes et même chefs d’entreprises - je fais ici référence à l’ancien PDG d’Amazon, Jeff Bezos - s’accordent à dire qu’il ne s’agit ni « d’intelligence » ni « d’artificialité », nous nageons donc en pleine fiction. Créer de la fiction dans ce contexte, c’est créer de la fiction sur de la fiction pour tenter de créer une réalité et s’emparer de tous les défis éthiques que cela génère. Un enjeu passionnant ! Un renversement ! Et pour citer Kate Crawford dans son Contre-Atlas de l’intelligence artificielle, « au lieu de me demander si les robots remplaceront les humains, je m’intéresse(rai) à la façon dont les individus sont de plus en plus traités comme des robots ».