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Patrick Corillon à #Avignon, portrait d'un libre électron

mercredi 26 juillet 2023

Programmé au Festival IN d'Avignon en cette 77e édition, certain.es ont eu la chance d'aller voir le "singulier" spectacle Portrait de l’artiste en ermite ornemental de Patrick Corillon à la Chapelle des Pénitents Blancs. Pour eux, mais aussi pour ceux et celles qui n'auront peut-être pas l'occasion de voir cet "énigmatique seul-en scène" de si tôt, Aliénor Debrocq a réalisé un portrait de l'artiste. Une invitation à vous immerger dans "le théâtre intime" de Patrick Corillon, et de "(re)vivre une expérience d’art vivant très particulière". Bonne lecture ! 

Au Festival d’Avignon, Patrick Corillon partage ses « inoffensives petites histoires » avec le public pour élaborer, « mine de rien » comme il le dit lui-même, un rapport au monde métaphysique et poétique…

 

Invité par le Festival d’Avignon à présenter quatre propositions qui placent l’imaginaire au centre du dispositif scénique, l’artiste d’origine liégeoise a choisi de nommer cet intrigant spectacle Portrait de l’artiste en ermite ornemental, instaurant dès les premiers instants un rapport très singulier au public présent pour l’occasion dans la Chapelle des Pénitents Blancs. Cet énigmatique seul-en-scène s’accompagne de deux « fantaisies » participatives, contées par sa complice de toujours, Dominique Roodthooft, d’une exposition et de la projection de six courts-métrages d’animation au Cinéma Utopia. Un focus très complet qui invite les spectateurs et spectatrices à un voyage autant mental que physique, inscrit pleinement dans l’esprit de cet artiste inclassable aux dispositifs narratifs protéiformes, toujours inattendus.

 

« Je ne me sens absolument pas comme un acteur », confie Patrick Corillon quand on lui demande ce que représente pour lui cette présence au 77e Festival d’Avignon, « mais je prends tellement de plaisir à raconter des histoires que j’ai eu envie de m’y essayer depuis une dizaine d’années. J’ai toujours adoré donner des conférences sur mon travail de plasticien. Ici aussi, c’est la parole vivante sur les objets qui m’intéresse : comment les faire parler, leur donner le rôle principal… »

Chez lui, le questionnement formel est tout sauf une préoccupation bourgeoise : se référant à la figure de William Morris, auteur et éditeur anglais du XIXe siècle, il rappelle comment ce dernier est parvenu à faire du décoratif une vraie question politique. Fondateur du mouvement Arts & Crafts mais aussi de la Ligue socialiste anglaise, Morris voulait que les ouvriers puissent être connectés à leurs rêves par la force des motifs les environnant : « Dans mon travail aussi, je considère que les images ouvrent au merveilleux, à la rêverie, non pour fuir le monde réel mais pour nous y connecter autrement. Ce que je cherche, ce sont des récits incarnés, qui puissent prendre chair dans des objets. Les récits, c’est comme de l’eau : ça peut s’introduire partout. Ce qui m’intéresse, c’est de chercher de nouvelles formes pour dire des choses qu’on ne pourrait pas dire autrement. Le temps long est ce qui permet de mettre le réel en perspective. Ce n’est pas une volonté de m’éloigner des préoccupations de l’époque dans laquelle je vis. »

 

Un « art éventuel »

Curieux de tout, Patrick Corillon construit souvent ses projets à la suite d’un ou plusieurs déclencheurs : voici une dizaine d’années, il a ainsi découvert l’existence avérée des ermites ornementaux dans l’Angleterre des XVIIIe et XIXe siècles : à cette époque, des aristocrates les accueillaient au sein de leur domaine, leur construisaient une grotte et s’engageaient à les nourrir, en échange de quoi ces personnes acceptaient d’occuper leur fonction pour une période d’au moins cinq ans, de ne jamais se couper les cheveux, les ongles ou la barbe, et de méditer tout au long du jour pour apporter une touche philosophique aux invités du maître des lieux… Cette façon d’être, Corillon suggère qu’elle pourrait permettre de huiler certains rouages du vivre-ensemble, de la vie en communauté : « Cela nécessite une grande force morale, d’accepter qu’une vie de recherche fondamentale puisse être vue par les autres comme purement décorative… »

Telle la grotte d’un ermite ornemental, le théâtre intime de Patrick Corillon offre au public avignonnais de vivre une expérience d’art vivant très particulière, où le pouvoir d’imaginer et de dialoguer, voire même d’agir, est donné en cadeau à condition d’accepter de se laisser embarquer dans cette perte de repères et ce déplacement inédit… L’objet théâtral se voit ici débarrassé de toute hiérarchie, réconciliant culture savante et populaire avec un étonnement amusé qui réfute toute forme de posture et de hiérarchie : un « art éventuel », ainsi que le nomme lui-même l’artiste, pour sa capacité à advenir ou non. « Le faux ne m’intéresse pas », explique-t-il, qui réfute le terme d’autofiction et lui préfère celui de mentir vrai : « L’autofiction reste ancrée dans l’individu alors que je cherche à atteindre la dimension métaphysique et platonicienne des choses, leur sens profond… La vie n’est que l’ombre de quelque chose de plus grand, les mots nous permettent d’entrer en vibration avec le cosmos davantage que de communiquer entre humains. Le cube blanc ou la salle noire sont des lieux qui permettent ce mentir vrai. Comme ce jeu où il faut relier neuf points sur une feuille de papier sans lever son crayon. La seule manière d’y arriver est de sortir du cadre… »

Sans avoir l’air d’y toucher, il convoque aussi l’histoire de l’art à travers l’anecdote personnelle (on le suppose) d’un souvenir d’enfance où, suite à la représentation de Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck, le jeune Patrick Corillon se prend de passion pour les petites croix qui jalonnent le plateau du théâtre où il pose les pieds pour la première fois, une fois les décors démontés : « Ces croix blanches, c’est l’essence du théâtre, mais c’est aussi une référence à Malevitch. Je veux tout faire passer ainsi, l’air de rien, je ne veux pas faire autorité mais dire le monde avec ces éléments-là. Je m’appuie toujours sur la vraie présence physique des objets que je choisis, comme cette table qui serait celle du poète dissident Ossip Mandelstam, dont j’ai fait le vrai frottage du bois. Dans mes histoires, je mêle toujours quelque chose de personnel – qui peut être familial ou intime – à ce que d’aucuns pourraient appeler la grande histoire ou le cours du temps. »

 

Fantaisies nouvelles

Insomniaque, Patrick Corillon a apprivoisé la nuit pour lire et travailler ses images porteuses de sens et d’inconscient. La pandémie lui a donné le temps nécessaire pour tester deux formes nouvelles de théâtre, créées pour la première fois au Festival d’Avignon : Le Voyage de la flaque et Le Dessous-dessus convient les spectateurs et spectatrices à entrer physiquement dans le récit grâce à deux « jeux de plateau » dénommés Fantaisies : l’un en papiers découpés, l’autre fait de milliers de perles fabriquées à la main. « Avignon va faire autorité pour que cette création inclassable puisse circuler », souligne l’artiste, qui participait ce 15 juillet à la troisième édition des rencontres prospectives organisées par News Tank Culture et le Festival d’Avignon. Intitulées « Le pouvoir aux artistes ? », elles lui ont donné l’occasion d’intervenir sur la notion d’auto-production. Cela ne l’empêche toutefois pas de s’entourer de collaborations essentielles à ses yeux, loin de la figure d’ermite avec laquelle il joue ici : « Je travaille toujours avec des personnes qui sont de vrais professionnels, qui ont développé une pensée de leur métier – je pense aux propos de l’architecte Renzo Piano à propos de la création du Centre Georges Pompidou mais aussi à un soudeur que j’ai rencontré et qui voyait son métier comme celui d’un marieur entre les matériaux. Il en parlait avec une beauté et une sensualité incroyables ! »

 

Propos recueillis par Aliénor Debrocq

 

Patrick Corillon, Portrait de l’artiste en ermite ornemental, Festival d’Avignon 2023, production Le Corridor et DC&J Création (Belgique)

 

Pour aller plus loin

. Patrick Corillon au Festival d'Avignon

.Toutes l'actualité de Patrick Corillon sur son site.

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© Christophe Raynaud de Lage